8 décembre 2014

 

Expérience Matroshka : le voyage dans l'espace est un peu moins risqué que prévu

 
Les risques liés à l'exposition à long terme des astronautes au rayonnement cosmique auraient été surévalués, selon les données fournies par l'expérience Matroshka réalisée à l'intérieur et à l'extérieur de la Station Spatiale Internationale.

Parmi les nombreux dangers menaçant la vie au voyageur de l'espace, le rayonnement cosmique est un problème majeur, limitant considérablement le temps que peuvent passer les astronautes dans l'espace sans encourir de risque excessif pour leur santé suite à leur exposition aux rayons ionisants. Mais dans quelle mesure ? Pour déterminer les doses réelles de rayonnement subies par les voyageurs de l'espace, l'Agence spatiale européenne (ESA), en collaboration avec des institutions de recherche en l'Allemagne, Pologne, Autriche, Suède et Russie, a conçu et réalisé l'expérience Matroshka.

Les scientifiques ont conçu un mannequin imitant étroitement le corps humain, équipé de plusieurs milliers de détecteurs, dont la plupart ont été fabriqués à l'Institut de physique nucléaire de l'Académie polonaise des sciences (en polonais Polska Akademia Nauk, Ifj PAN) à Cracovie, en Pologne. Ces détecteurs ont enregistré les doses de rayonnement cosmique à l'intérieur de la Station spatiale internationale ainsi qu'à l'extérieur - dans un espace ouvert - durant plusieurs années. L'analyse minutieuse des données vient de s'achever, et les résultats sont quelque peu inattendus.

"On peut affirmer que l'environnement spatial est un peu moins hostile que prévu. Les doses enregistrées, liés au risque d'altération de la santé des astronautes et calculées à partir des mesures des détecteurs, se révèlent inférieures à celles indiquées par les dosimètres portés en même temps par les astronautes", explique le Dr Paweł Bilski, professeur agrégé à l'Ifj PAN.

Un mannequin dérivé de la recherche médicale

Un mannequin spécialement adapté utilisé dans la recherche médicale, garni d'ossements humains réels insérés dans un «corps» en plastique simulant les formes et densités des tissus mous ou des poumons dans un organisme humain, a été utilisé pour mesurer les doses de rayonnements cosmiques. Le mannequin (un torse sans jambes) se composait de 33 tranches de 2,5 cm d'épaisseur chacune. L'équipement de mesure a été placé à l'intérieur de ces tranches et comprenait des ensembles de détecteurs thermoluminescents passifs placés dans des tubes en plastique. Ainsi, une grille rectangulaire tridimensionnelle de points de mesure a été créée à l'intérieur du mannequin représentée par six mille détecteurs thermoluminescents. Plus de trois mille de ces détecteurs ont été fabriqués à l'Ifj PAN. Cette conception expérimentale a permis aux chercheurs de déterminer avec précision la répartition spatiale des rayonnements enregistrés à l'intérieur de cet organisme artificiel, afin d'évaluer avec précision les doses absorbées par les organes du corps humain, et enfin d'établir une estimation du risque d'irradiation pour les astronautes.

"Nos détecteurs thermoluminescents se présentent sous la forme de minces granules blancs de 4,5 mm de diamètre. Ils sont composés de fluorure de lithium enrichi de quelques dopants soigneusement sélectionnés", explique le professeur Paweł Olko, directeur scientifique de l'Ifj PAN.

Les dopants contrarient la structure régulière du réseau cristallin de fluorure de lithium composant le détecteur et créent des niveaux d'énergie surnuméraires, qui agissent comme des pièges pour les électrons libres entraînés par le rayonnement cosmique dans ce treillis. Le nombre des électrons piégés augmente progressivement avec la dose absorbée dans le détecteur. Lorsque celui-ci est ensuite chauffé en laboratoire, les électrons piégés sont libérés et émettent de la lumière, dont la quantité est proportionnelle à la dose absorbée, traduisant l'importance de l'irradiation.

 
 

 
Le mannequin Matroshka présenté par les astronautes (S. Krikaliew, J. Philips)
à bord de la Station spatiale internationale. (Source: NASA).
 
Le principal danger de l'exposition au rayonnement cosmique est la probabilité accrue de développer un cancer. Cette conséquence est cependant dépendante du type de rayonnement subi par l'astronaute. La plupart des sources naturelles de radiations ionisantes sur Terre produisent un rayonnement électromagnétique de haute énergie, les rayons gamma. Mais dans les rayons cosmiques, des protons ou des ions lourds énergétiques dominent, or ceux-ci présentent un risque encore accru d'entraîner la production de cellules cancéreuses. Les détecteurs thermoluminescents étant incapables d'effectuer la différence entre les rayons gamma et les ions lourds énergétiques, le mannequin a été également équipé de détecteurs spécifiques permettant d'opérer cette distinction.

Le mannequin disposé à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS) a de surcroît été revêtu d'un "poncho" comportant des détecteurs supplémentaires, simulant les dosimètres personnels portés par les astronautes. Les deux types de mesures pouvaient ainsi être comparées.

Des résultats inattendus

Au cours des années 2004-2009 le mannequin MATROSHKA subi trois expositions au rayonnement cosmique, d'une durée d'un an ou plus. Deux de ces expositions ont eu lieu à l'intérieur des modules russes de la station spatiale, la troisième à l'extérieur, dans un récipient imitant les propriétés de blindage d'une combinaison spatiale.

Après le retour des détecteurs à Terre, l'analyse de l'ensemble de données a été effectuée par des équipes de scientifiques de l'Ifj PAN à Cracovie, le Centre aérospatial allemand (DLR) à Cologne et à l'Université de Vienne. La conclusion était que les dosimètres individuels portés à l'intérieur de la station par l'équipage avaient surestimé la dose réelle mesurée par le mannequin d'environ 15%. Cependant, lors des sorties dans l'espace, cette surestimation a dépassé 200%.

"Nous devons nous rappeler que les mesures réalisées dans le cadre de l'expérience Matroshka ont été effectuées en orbite basse, là où la magnétosphère de la Terre permet de réduire considérablement le nombre de particules chargées provenant du rayonnement cosmique. Dans l'espace interplanétaire, ce blindage naturel n'existe pas", remarque le Dr Bilski.


Sources :

>>> National Center for Biotechnology Information, U.S. National Library of Medicine :
"A numerical model of a human torso phantom and its application to effective dose equivalent calculations for astronauts at the ISS”
.

>>> Radiation Research Society :
"The MATROSHKA Experiment: Results and Comparison from Extravehicular Activity (MTR-1) and Intravehicular Activity (MTR-2A/2B) Exposure".

 
 

 
Structure intérieure du mannequin utilisé dans l'expérience Matroshka. Les tubes blancs
contiennent des ensembles de détecteurs thermoluminescents. (Source: DLR).
 

 

 
 
 

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