13 décembre 2014

 

Le chat domestique à l'origine de notre civilisation

 
Notre chat domestique, cette boule garnie de poils et de moustaches qui ronronne sur nos genoux en ne tolérant pas le moindre dérangement, est une énigme. Depuis longtemps, les scientifiques tentaient de découvrir son origine parmi les espèces sauvages connues. Sans succès. Du moins, jusqu'à ce que des recherches sur l'ADN permettent de mieux connaître l'histoire de ce félin et en retracer l'origine à… la dernière glaciation ! Et même avant. Flashback.

Planète Terre, -115.000 ans

Il y a longtemps, très longtemps, la conjonction de certaines circonstances aussi variées que les modifications de l'orbite de la Terre autour du Soleil, l'inclinaison de son axe de rotation ou même la quantité d'énergie solaire reçue en surface ont provoqué un abaissement généralisé de la température atmosphérique. C'était il y a 115.000 ans, la glaciation de Würm venait de commencer.

Très progressivement, les calottes glacières se mirent à s'étendre. Lentement d'abord, puis plus rapidement. Tandis que le niveau moyen des mers baissait d'une centaine de mètres, la glace recouvrait les continents, Europe comme Amérique du Nord entre autres, ruinant les territoires de chasse des premiers hommes ainsi forcés à redescendre vers le sud pour s'alimenter.

Mais les hommes n'étaient pas les seuls concernés. Ces modifications de température ne présentaient pas de risque immédiat pour les espèces qui l'habitaient, à condition de savoir se synchroniser avec le déplacement des zones climatiques. Ainsi, toutes les espèces, animales comme végétales, accompagnèrent le mouvement et descendirent vers des régions correspondant mieux à leur biotope d'origine. Pendant ce temps, les régions abandonnées se voyaient progressivement recouvertes par des centaines de mètres de glaces… Cela prit des dizaines de millénaires.

L'Homme fut avantagé par son intelligence, qui lui procurait une faculté d'adaptation telle qu'en n'importe quelles circonstances, il restait capable de trouver sa subsistance. Certains des autres mammifères furent avantagés par… leur petite taille, qui leur permettait de survivre malgré des possibilités d'approvisionnement en nourriture fortement réduites. Parmi eux, des félins. Mais l'histoire ne fait que commencer…

Il y a environ 20.000 ans, l'intensité de la glaciation de Würm atteint son maximum. Les populations européennes n'ont cessé de migrer vers le sud, mais elles ont atteint une barrière naturelle, infranchissable : la Méditerranée. Ne pouvant se réfugier en terre plus clémente, les espèces qui la composent commencent à s'éteindre, victimes du froid. Mais au-delà de la mer, les espèces qui ont aussi migré vers le sud n'ont pu être remplacées et un vide, un désert, s'est créé et s'étend en direction de l'équateur. Plus tard, ce sera le désert du Sahara.

Et notre chat ? Il est toujours là… Obéissant à sa nature et à son comportement félin, il chasse inlassablement les petits rongeurs, avantagés comme lui par leur taille réduite. Et ne s'intéresse pas à l'Homme. Tout comme l'Homme lui est parfaitement indifférent. Continuons.

 
 

 
Etat de la Terre lors de la période glaciaire de Würm, il y a 20.000 ans.
 
Il y a 12.000 ans, la période glaciaire se décide à relâcher son emprise. Le climat se réchauffe progressivement, les glaciers commencent à fondre. A ce moment, la Méditerranée n'est plus entourée que de déserts. Au Nord, c'est le froid. Au sud, c'est la désolation. Toutes les espèces animales comme végétales, réfugiées sous les Tropiques, commencent alors à remonter.

Ici, une petite parenthèse pour signaler une différence entre l'histoire des continents. En Amérique, les grandes chaînes montagneuses qui auraient pu former barrière (Apalaches, Rocheuses, Cordillière des Andes) sont orientées nord-sud et restent franchissables, ce qui a permis aux hommes de mieux s'adapter aux modifications du climat. Contrairement en Europe où, nous l'avons vu, la Méditerranée a constitué une barrière naturelle infranchissable, causant la mort de milliers d'espèces faute de pouvoir poursuivre leur progression vers le sud.

Mais l'inversion du scénario causera de nouvelles victimes. Alors que la glaciation avait repoussé tous les écosystèmes vers l'équateur, le réchauffement fait remonter les plantes réfugiées en Afrique, du moins les rares espèces qui ont pu s'adapter. Et elles se heurtent à nouveau à la barrière de la Méditerranée, cette fois en sens inverse, de sorte qu'au cours du Quaternaire, la faune et la flore de l'Europe restent beaucoup plus pauvres que celle de l'Amérique ou de l'Asie. Sauf…

Le Paradis Terrestre

Il existe pourtant un passage. A l'est de la Méditerranée se trouve une bande de terrain en forme de croissant, coincée entre la mer et la chaîne du Caucase. La plupart des espèces animales comme végétales ont pu transiter par cette étroite zone qui représente réellement un cas unique sur le continent eurasiatique, ce qui explique vraisemblablement la richesse extrême de cette région 10.000 ans avant notre ère, un endroit qui justifie parfaitement son appellation de "Croissant Fertile", passage naturel  entre l'Egypte et la Turquie comprenant Israël, la Jordanie, la Syrie.
 
 

 
Le Croissant Fertile comprend Israël, la Jordanie et la Syrie actuelles.
 
Dès lors,  peut-on  s'étonner que ce territoire  ait été le premier où l'homme se soit sédentarisé après la dernière glaciation ? En tout cas, c'est là qu'apparaissent les premières traces de plantes cultivées. On y retrouve des blés, parfaitement domestiqués, mais aussi de l'orge, qui semble avoir été la première car elle présente l'avantage de pouvoir être semée à peu près en n'importe quelle saison, ensuite les lentilles, les pois et aussi le lin.

Attention, il est bien évident que l'agriculture primitive n'est pas apparue en un seul endroit du monde. Actuellement, six foyers sont connus et étudiés, parfois plus précoces, mais seul celui du Croissant Fertile répond à tous les critères pour avoir pu, ensuite, se répandre à travers tout le continent.

Pourquoi l'Homme s'est-il mis à cultiver ? La réponse est simple : à cause de la sédentarisation et de l'augmentation de la densité de population qui s'en est suivie, peu compatible avec la pratique ancestrale qui consistait à récolter les épis sauvages épars dans la nature. L'Homme, s'étant rapidement aperçu que les graines abandonnées sur le terrain germaient (il le savait déjà certainement depuis fort longtemps), mit cette propriété en application et se mit à planter. Avec plusieurs conséquence et une aide (presque) divine.

L'émergence du blé

Là, il convient d'ouvrir une petite parenthèse. Sans rapport avec notre chat, mais qui s'y intéressera probablement. Pourquoi le blé a-t-il remporté tant de succès et est-il devenu la plante emblématique que l'on connaît aujourd'hui ?

Le blé est une plante autofertile, c'est-à-dire que son propre pollen peut féconder ses propres ovules. L'avoine, le riz et le sorgho appartiennent aussi à cette catégorie. Et cela fait de sa culture une formidable machine à sélectionner, même sans volonté consciente.

Lorsqu'on sème des grains de blé, on obtient des épis semblables à leurs père et mère, qui étaient originaires d'un même pied: il s'agit de lignées pures, pratiquement sans hybridation. Mais le principe de sélection se trouve ailleurs. Lorsqu'on sème dans un endroit déterminé des grains provenant de clairières différentes, ceux-ci appartiennent aussi à des lignées différentes cumulant un grand nombre de caractères génétiques adaptés à leurs provenances diverses.

 

 
Diffusion de l'agriculture à partir du Croissant Fertile.
Parmi ces plantes, certaines pousseront plus rapidement que d'autres, des grains ne germeront pas tout de suite, d'autres pas du tout. Ils ne sont pas morts: on sait aujourd'hui que la nature programme des "dormants", graines qui renferment dans leur enveloppe des substances qui inhibent la germination et conçues pour ne germer qu'après une ou deux années en raison de conditions particulières, et donc peu productives.

Mais si l'agriculteur prend l'habitude de récolter à date fixe, par exemple fin juin, et qu'il conserve une partie des graines comme semences, l'année suivante, il ne sèmera donc que des graines qui avaient poussé et étaient mûres exactement fin juin. Au bout de quelques cycles, il aura obtenu des lignées pures de graines réunissant toutes les caractéristiques les plus intéressantes dans son cas particulier, mûrissant toutes au même moment et dont les graines, sans dormants, germent chaque année. Mais surtout, l'autofertilité de la plante permet d'accélérer considérablement le processus. Des scientifiques américains, qui ont tenté l'expérience avec une graminée de prairie, sont arrivés à la domestiquer en une quarantaine d'années, une période extraordinairement courte en matière d'évolution. Il est donc possible que le blé l'ait été en un siècle environ, mais le processus a pu s'accomplir à des époques différentes en des endroits divers. N'empêche, historiquement parlant, ce délai est très court. Mais ce n'est pas tout.

Alors que dans la savane le blé s'était lui-même programmé pour surmonter les plantes avoisinantes et puiser l'énergie du Soleil, dans les premiers champs, l'Homme a rapidement pris l'habitude d'arracher les mauvaises herbes… et le blé s'est ainsi trouvé en compétition avec lui-même. Chaque épi va donc tenter de monter plus haut et plus vite que ses voisins, pour prendre le soleil aux autres et germer le premier. Or cette rapidité de germination dépend de la réserve de matière organique directement utilisable contenue dans les grains, autrement dit les sucres. Ainsi, seront favorisés les gros grains ayant une réserve importante en sucre.
 
Et notre chat sauvage, que vient-il faire là-dedans, me demanderez-vous ? Patience, il arrive…

Il est bien compréhensible qu'une plante présentant autant de vertus que le blé, dont les caractéristiques et la commodité de culture s'amélioraient comme par miracle, ne pouvait qu'impressionner les premiers agriculteurs. De là à la déifier, le pas fut rapidement franchi, et l'on retrouve des épis de blé dans l'iconographie de toutes les divinités. Mais il restait un obstacle à franchir.

Le chat, ce sauveur

Car si l'Homme appréciait le blé, il n'était pas le seul. Entreposé dans des fosses d'abord, dans des cabanes ensuite, il attira rapidement tous les rongeurs des environs, véritable calamité qui entraîna probablement de nombreuses famines. Mais ces mulots et autres souris avaient un ennemi juré : le chat.

"Les félins sont bien connus pour être de redoutables prédateurs - très meurtriers, très féroces et très menaçants pour les autres espèces y compris celle des humains", explique M. O'Brien, chercheur au National cancer institute améicain. Mais ajoute-t-il, un des plus petits représentants de son espèce a choisi de devenir un peu plus familier, un peu plus amical, et surtout un excellent chasseur de souris.

"Premièrement, il les a aidés à se débarrasser des milliers de rongeurs installés près des stocks de grains, et deuxièmement, il a sans doute été une source d'amusement pour les familles et leurs enfants", explique-t-il, ajoutant qu'il s'agissait bien là du "début d'une des plus incroyables expérimentations biologiques, où un méchant, féroce et mortel prédateur, change de comportement et devient amical avec les humains".

Mais notre chat domestique, cette turbine à ronrons qui s'épanouit devant nos cheminées ou sur nos genoux, ou les deux à la fois, descend-il réellement de la lignée qui a permis à la civilisation de prendre son élan ? Pour cela, les chercheurs ont étudié l'ADN de 979 chats afin de les mettre en corrélation avec les cinq espèces de chats sauvages connues sur trois continents. Ils sont ainsi parvenus à exclure quatre espèces de chats sauvages, soit le chat sauvage européen, celui d'Asie centrale, celui du sud de l'Afrique et celui du désert chinois, dont les groupes sont génétiquement distincts de notre chat domestique. Par contre, ce dernier appartient bien au groupe du chat sauvage du Proche-Orient, ou Felis sylvestris sylvestris.

"Le chat sauvage du Proche-Orient, qui vit dans les déserts d'Israël, d'Arabie Saoudite et d'autres pays du Proche-Orient, et qui ressemble probablement à son ancêtre, est certainement aussi le parent de nos félins favoris", conclut Carlos Driscoll, l'un des auteurs de l'étude et doctorant de étudiant en doctorat à l'université d'Oxford.
 

Jean Etienne

 

 
 
Felis sylvestris sylvestris, l'ancêtre de tous nos chats.
 
 
 

 
Carte de répartition des cinq espèces actuelles de chats sauvages.
 

 

 
 
 

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