La double apparition de la vie multicellulaire sur Terre

 

Les premières traces de vie sont apparues il y a environ trois milliards et demi d'années : il s'agissait d'organismes procaryotes, c'est-à-dire d'organismes unicellulaires privés de noyau. La Terre était alors majoritairement peuplée de microbes (virus, bactéries, algues unicellulaires...).

Puis il y a 600 millions d'années se produit un évènement majeur: une élévation significative de la concentration d'oxygène dans l'atmosphère marque la prolifération d'espèces vivantes, c'est l'"explosion cambrienne". Aux procaryotes s'ajoutent alors les eucaryotes, organismes uni ou multicellulaires dont l'organisation et le métabolisme se complexifient. De grande taille, ces êtres vivants s'opposent notamment aux procaryotes par la présence de cellules qui possèdent un noyau contenant l'ADN.

En 2008, une équipe scientifique composée d'une vingtaine de chercheurs appartenant à seize institutions coordonnée par Abderrazak El Albani du laboratoire «Hydrogéologie, argiles, sols et altérations» (CNRS-INSU/Université de Poitiers) mettait au jour, de façon tout-à-fait inattendue, plus de 250 fossiles d'organismes multicellulaires complexes particulièrement évolués et parfaitement préservés dans des sédiments âgés de 2,1 milliards d'années sur un site fossilifère situé à Franceville au Gabon.

Inutile de dire que cette découverte souleva, à l'époque, autant de scepticisme que d'enthousiasme, les scientifiques n'étant jamais très enclins à revoir certains acquis… surtout lorsqu'il s'agit de reculer de quelque 1,5 milliard d'années la date d'apparition des premières formes de vie complexes sur Terre !

Hypothèse confirmée !

Et pourtant, six années après cette découverte majeure, l'hypothèse se confirme. Une nouvelle analyse détaillée, portant cette fois sur 400 échantillons recueillis au cours de plusieurs campagnes de fouilles réalisées en collaboration avec des équipes de l’université Lille 1, de l’université de Rennes 1, du Muséum national d’Histoire naturelle et de l’Ifremer, vient d'être publiée dans la revue Plos One.

L’utilisation d’une sonde ionique destinée à mesurer les différents isotopes du soufre a confirmé l’origine organique (biogénicité) des spécimens récoltés, tandis que leur analyse au microtomographe à rayons X révélait leur structure aussi bien externe qu’interne et permettait de caractériser leur morphotype. La fossilisation rapide des individus, grâce au phénomène de pyritisation (le remplacement de la matière organique par de la pyrite, du fait de l’activité bactérienne), a permis une conservation exceptionnelle de leur forme initiale.

Plusieurs nouveaux morphotypes ont été répertoriés par les chercheurs : circulaires, allongés, lobés..., chacun regroupant des individus de tailles, et surtout d'espèces, différentes. Leur analyse dévoile des organismes de texture médusaire, molle et gélatineuse. Leur forme est lisse ou plissée, leur texture est uniforme ou grumeleuse, leur matière est massive ou cloisonnée. Mais surtout, la structure très organisée et les tailles variées des spécimens macroscopiques (jusqu’à 17 centimètres !) suggèrent un mode de croissance extrêmement sophistiqué pour cette période reculée. Cet écosystème marin complet est donc composé d’organismes micro et macroscopiques de formes et de tailles extrêmement variées qui vivaient dans un environnement marin peu profond.

Si l'émergence d'un système de vie complexe marquant l'"explosion cambrienne" il y a 600 millions d'années était la conséquence directe de l'augmentation du taux d'oxygène dans l'atmosphère il y a 700 à 800 millions d'années, de même, l’apparition et la diversité du biota gabonais correspond à un premier pic d’oxygène observé entre -2,3 et -2 milliards d’années. Cette biodiversité se serait ensuite atténuée, puis éteinte après la chute brutale de ce taux.

La diversité et la structure très organisées de ces formes de vie complexes suggèrent qu'elles étaient déjà très évoluées. Qu'en serait-il advenu si les conditions environnementales n'avaient pas précipité leur régression, puis leur extinction ? Il n'est pas non plus exclu que d'autres formes de vie à la fois aussi anciennes et complexes restent encore à découvrir ailleurs sur la planète.

Mais une chose semble acquise : l'apparition des formes de vie complexes s'est produite à (au moins) deux reprises sur la Terre, comme si ce processus était inéluctable dès que les conditions favorables sont réunies.

Et ailleurs que sur Terre ?

Jean Etienne

 

   

  Macrofossiles pyritisés montrant des morphotypes lobés avec des structures périphériques radiales (en haut à droite) et des morphotypes allongées. Les images obtenues par microtomographie à rayons X (micro-CT) sont en transparence ou en volume 3D. Barre d’échelle 1 cm. © CNRS, Abderrazak El Albani
   

  Macrofossiles pyritisés montrant des morphotypes allongés partiellement sinueux (environ 17 cm pour le spécimen du haut), composés de deux parties connectées. Barre d’échelle 1 cm.
   
 

Source : The 2.1 Ga Old Francevillian Biota: Biogenicity, Taphonomy and Biodiversity

   
 

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