23 décembre 2014

 

Quinze télescopes Hubble en orbite !

 
La technologie utilisée dans les satellites de reconnaissance militaire représente un des secrets les mieux gardés du monde. Même s'il est permis d'en évaluer les performances en recoupant diverses informations, chichement publiées par leurs utilisateurs, leurs vraies caractéristiques sont protégées par le secret d'état, et cela se comprend.

Les satellites de reconnaissance et de cartographie civils, par contre, sont mieux connus, et leurs capacités nous paraissent loin d'être ridicules. Elles sont pourtant très, très en-deçà de celles de leurs grands frères militaires.

Leur histoire a débuté très tôt. Dès 1959 pour les Américains avec le KH-1 (Key Hole, ou trou de serrure) Corona, lancé en 16 exemplaires (dont 7 échecs), et 1961 pour les Soviétiques et leur Zenit-2 dont l'espace circumterrestre vit défiler pas moins de... 101 représentants, pour seulement 3 échecs. Tous deux utilisaient la technologie de la cartouche de film revenant sur Terre à bord d'une capsule récupérable.

Côté Américain, le KH-1, considéré aujourd'hui comme le précurseur de l'espionnage spatial, a été suivi par divers modèles jusqu'au KH-4B, puis par le KH-5 Argon et le KH-6 Lanyard. Tous ces modèles ont été déclassifiés en 1966 sur l'ordre du président Johnson, ainsi que leurs plans et la plus grande partie des documents photographiques obtenus par ce système (pas moins de 860.000 images).

Mais l'utilisation de films récupérables manquait de souplesse, et surtout, limitait sévèrement la durée de vie du satellite: lorsqu'il n'y avait plus de pellicule à bord, il fallait en lancer un nouveau. De plus, les délais entre la prise de vue et l'utilisation de l'image par les militaires étaient longs, car ils incluaient la localisation et la récupération de la capsule (bien que souvent, celle-ci était "capturée" en plein vol, pendue au bout de son parachute, avant d'atteindre le sol, par un avion muni d'un dispositif spécial).

 
 

 
Récupération d'une capsule de films en plain vol. Crédit Nasa.
 
Aujourd'hui, cette technologie est abandonnée et a été remplacée par la transmission numérique des images. La durée de vie de ces satellites est ainsi considérablement augmentée.

Le KH-11, à la fois secret et… familier !

Le premier exemplaire de la série KH-11 a été lancé le 19 décembre 1976 par une Titan 3D. Alors que dix ans plus tard, le satellite SPOT-1 se targuait d'une résolution au sol de 10 mètres, celle du KH-11 atteignait 15… centimètres !

Mais de quelle optique ce KH-11 était-il donc équipé pour permettre de telles performances ? Ce n'est qu'avec parcimonie que les Américains ont laissé filtrer quelques maigres informations au fil des années (appuyées de quelques indiscrétions, il faut le dire). On sait ainsi que ce satellite accusait une masse de 11,6 tonnes pour une longueur totale de 13,48 m et 4,3 m de diamètre. Deux panneaux solaires lui fournissaient 5 Kw d'électricité, mais surtout, son objectif était formé d'un miroir de 2,4 m de diamètre lui assurant une définition exceptionnelle.

Cela ne vous rappelle rien ? Mais oui... Le KH-11 n'était autre qu'une copie conforme du télescope spatial Hubble, ou plutôt le précurseur, car le célèbre instrument astronomique, mis en orbite en le 25 avril 1990 par la navette Discovery avait été conçu sur la base d'un satellite espion utilisé depuis quatorze années.

Au total, 9 exemplaires de KH-11 ont été lancés avec succès de 1976 à 1988, tous au moyen d'une fusée Titan 3D.

 
 

 
Bombardier photographié sur une base militaire chinoise par un KH-11.
 
Le 1er mars 1990, l'armée américaine inaugurait la série des KH-12 (nom de code Crystal), lancés par la navette spatiale et de caractéristiques comparables, bien que le diamètre du miroir ait été porté de 2,40 m à 3 m, et aussi nettement plus lourds (près de 20 tonnes !). Cette augmentation de poids semble justifiée par un système de capteurs plus perfectionnés et capables de travailler jusque dans le proche infrarouge, ainsi que par l'emport d'une quantité supérieure de carburant autorisant davantage de possibilités de manœuvres ainsi qu'une durée de vie accrue. On pourrait considérer, non sans humour, que le Télescope spatial Hubble lancé deux mois plus tard était l'ancienne version d'un satellite militaire devenu obsolète.

Après avoir lancé avec succès trois exemplaires du KH-12, une version encore plus évoluée, baptisée faute de mieux par les observateurs "Improved Crystal", prenait la route du ciel à partir de 1999. Il s'agit encore d'un satellite d'architecture "Hubble", mais dont les caractéristiques semblent portées à leur paroxysme : pas moins de 27 tonnes de très haute technologie entourent un miroir de 4 mètres de diamètre (dont les astronomes n'auraient même pas osé rêver...). Par contre, ses performances restent entourées d'un flou artistico-militaire avec une capacité de discernement annoncée (du bout des lèvres) de 4 centimètres au sol depuis 200 km d'altitude de jour comme de nuit, bien que certaines sources la décrivent plutôt millimétrique. Avec Improved Crystal, on n'est pas loin de pouvoir identifier un visage dans n'importe quelle rue de la planète ! Mais on n'est pas près de voir ces documents publiés...

Le plus insolite dans cette histoire est encore que le télescope spatial Hubble est, ou a été accompagné en orbite de 14 frères jumeaux, soit huit KH-11, trois KH-12 et trois KH-13 "Improved Crystal". Plusieurs d'entre eux sont encore en activité, et ce n'est probablement pas fini...

Jean Etienne

 

 

 
Représentation d'un satellite de la série KH-11. Contrairement à Hubble, le miroir
secondaire est mobile afin s'assurer le suivi d'un objectif situé au sol.
 

 

 
 
 

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