4 janvier 2015

 

Poissons marcheurs : un instant de l'évolution recréé en laboratoire

 
Comment les poissons se sont-ils adaptés à la terre ferme, voici 400 millions d'années, amorçant ainsi un long processus d'évolution qui allait aboutir à la vie terrestre telle que nous la connaissons, et dont nous faisons partie ? Au terme d'une incroyable expérience, une équipe de chercheurs de l'Université d'Ottawa (Ontario, Canada), vient peut-être de recréer cet instant de l'évolution.

Pour cela, la physiologiste de l’Université d’Ottawa Emily Standen et ses collègues ont utilisé un poisson africain, le Polypterus bichir, appartenant au groupe des Cladistiens. Ces poissons osseux à nageoires pectorales charnues et munis de poumons, très répandus sur le continent africain, sont bien connus des aquariophiles. Mais pour les scientifiques, l'intérêt de cette espèce est sa similitude avec les premiers tétrapodes, ces premiers animaux qui quittèrent la mer pour s'adapter à la terre ferme. En outre, le bichir sous sa forme actuelle est capable de se déplacer sur terre à l'aide de ses nageoires, quoique de façon maladroite.

Pour les besoins de l'expérience, Emily Standen s'est procurée un lot de ces animaux et en a entrepris l'élevage. Un premier lot a été placé dans des aquariums classiques remplis d'eau et servira de témoin, tandis qu'un second lot a été installé dans un réservoir ne contenant qu'un fond d'eau de quelques millimètres. Afin d'éviter le dessèchement, leur peau était maintenue humide en permanence par des brumisateurs.

Huit mois se sont passés. Puis Standen et ses collègues ont comparé les résultats des deux groupes. Les scientifiques ont immédiatement remarqué que les poissons élevés "au sol" se distinguaient de ceux ayant grandi en plaine eau par une capacité accrue à se déplacer sur terre ainsi que par leur anatomie. "Les poissons élevés sur terre se déplaçaient d’une manière plus effective et avaient tendance à vouloir redresser leurs têtes", a annoncé Standen.

Les changements anatomiques

Un grand nombre des capacités augmentées dans la marche sont apparues liées à des modifications dans l'anatomie du poisson. Ainsi, sur les spécimens élevés au sol,  la structure des os au niveau du thorax et du dessus du dos, ainsi que les articulations des épaules, se sont modifiées afin de mieux supporter et répartir le poids du corps sur les nageoires, devenues de véritables membres terrestres. "Ils plantent leurs nageoires plus près de la partie médiane de leur corps quand ils marchent, qui leur permet de se soulever et se prendre en charge plus efficacement. Et ils maintiennent leur tête plus en hauteur, ce qui réduit encore le frottement avec le sol", annonce Standen.

En même temps, les os intermédiaires entre le thorax et la tête se sont modifiés afin que cette dernière puisse se déplacer librement d'un côté à l'autre et de haut en bas, en créant ainsi ce que les poissons ne possèdent pas d'ordinaire : un cou.

Dans la nature, l'avantage d'avoir un cou mobile est de pouvoir déterminer l'angle d'approche de la nourriture pour mieux la saisir par le haut ou par le bas, une étape essentielle de l'évolution. Dans le laboratoire d'Emily Standen, cette étape fascinante a été franchie en une seule génération ! "J'ai été surprise par la façon dont cette expérience reflète ce que nous avons observé dans les fossiles", déclare la scientifique.

L'équipe est à présent occupée à reproduire cette expérience sur un plus grand nombre de poissons, afin d'approfondir les connaissances sur les modifications apportées par le changement d'environnement, non seulement sur l'ensemble du squelette, mais aussi sur le système musculaire des animaux.

Cette recherche a fait l'objet d'une publication dans Nature.
Vidéos associées, source Nature ici (8 sec.) et ici (3:22 en anglais).

Jean Etienne

 

 

 
Déplacement de Polypterus bichir sur le sol. Crédit : Nature.
 

 

 
 
 

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