20 janvier 2015

 

Guérison de la cécité : le cerveau peut s'opposer à une restauration complète de la vue

 
Grâce à de récentes avancées scientifiques, des personnes qui auraient été aveugles pour le reste de leur vie peuvent aujourd'hui recouvrer partiellement la vue. Cependant, des scientifiques de l'Université de Montréal et de l'Université de Trento ont découvert que la réorganisation sensorielle qui se produit dans le cerveau pendant une cécité de longue durée pourrait empêcher une restauration complète de la vue.

"Nous avons eu la chance d'étudier le cas rare d'une patiente ayant une très faible vision depuis la naissance qui a subitement recouvré la vue à l'âge adulte après l'implantation d'une kératoprothèse Boston (voir en fin d'article) dans son œil droit", explique Giulia Dormal, qui a dirigé l'étude". D'une part, nos résultats révèlent que le cortex visuel conserve une certaine plasticité (la capacité de s'adapter en fonction de l'expérience) chez un adulte ayant une faible vision depuis l'enfance. D'autre part, nous avons constaté que, plusieurs mois après la chirurgie, le cortex visuel n'avait toujours pas atteint un fonctionnement normal". Le cortex visuel est la partie du cerveau qui traite l'information en provenance des yeux.

Phénomène connu des scientifiques, le cortex occipital (la partie du cerveau normalement responsable de la vision) d'une personne atteinte de cécité développe une capacité de traitement pour d'autres sens, comme l'ouïe et le toucher, afin de compenser la perte de vision. "Cette importante réorganisation du cerveau devient un handicap pour les personnes qui recouvrent la vue grâce à la chirurgie, car le cortex occipital éprouve de la difficulté à 'voir' après avoir été privé de stimuli visuels pendant des années", affirme Giulia Dormal.
 
 

 
Activation du cortex visuel. Université Mc Gill.
 
Pour mesurer l'ampleur de ce handicap, les chercheurs ont invité la patiente en question, une Québécoise de 50 ans, à participer à une batterie de tests. Ils ont effectué des mesures comportementales et neurophysiologiques avant et après la chirurgie pour évaluer les changements dans la vision et l'anatomie du cerveau de la patiente, ainsi que la réponse de son cerveau aux stimuli visuels et sonores. Pour ce faire, des images par IRM ont été prises pendant que la patiente accomplissait diverses tâches visuelles et auditives, puis celles-ci ont été comparées à des images de personnes ayant une vue normale et de personnes atteintes de cécité incurable accomplissant les mêmes tâches.

"Nous avons d'abord constaté que la patiente présentait, avant la chirurgie, une réorganisation structurelle et fonctionnelle des régions occipitales caractéristique des personnes atteintes d'une incapacité visuelle de longue durée. Puis, nous avons démontré qu'une partie de cette réorganisation peut être partiellement inversée à la suite du recouvrement de la vue à l'âge adulte", explique Olivier Collignon, qui a supervisé la recherche. "Avec les importantes avancées dans les techniques de restauration de la vue, ces résultats revêtent une grande importance clinique pour la prédiction du résultat de l'intervention chez un candidat atteint de cécité".

L'étude suggère que la chirurgie oculaire peut avoir un résultat positif, même chez les adultes atteints d'incapacité visuelle sévère depuis le plus jeune âge. Il y a toutefois un important bémol. "Le rétablissement du cortex visuel, que l'on constate par une diminution de la réponse aux stimuli auditifs et une augmentation graduelle de la réponse aux stimuli visuels et de la densité de matière grise, n'est pas total", nuance Giulia Dormal. "En fait, certaines régions du cortex visuel continuent de répondre aux stimuli auditifs sept mois après la chirurgie, et ces réponses viennent chevaucher les réponses aux stimuli visuels. Ce chevauchement pourrait expliquer expliquerait pourquoi certains aspects de la vision, malgré une amélioration graduelle, sont toujours sous la normale sept mois après la chirurgie".

Les résultats de cette recherche ont un double intérêt d'un point de vue clinique. Selon Olivier Collignon : "Notre recherche ouvre la voie à l'utilisation de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle comme outil de pronostic du recouvrement de la vue avant la chirurgie. Elle ouvre également la voie au développement de programmes adaptés de réhabilitation à la suite d'une chirurgie de restauration de la vue".

 

La Kératoprothèse Boston

La Kératoprothèse Boston est une cornée artificielle que l’on transplante chez des patients atteints de maladies sévères de la cornée. Quoique peu connue, la cécité par atteinte de la cornée est la deuxième cause de cécité dans le monde. Les maladies qui peuvent mener à une cécité cornéenne sont les brûlures chimiques, les maladies inflammatoires et auto-immunes, les infections, les traumas, les maladies génétiques touchant la cornée, les dystrophies et l’échec à la greffe traditionnelle.

Pour plusieurs patients, une greffe de cornée traditionnelle peut s’avérer efficace. En effet, la transplantation de la cornée est la chirurgie la plus fréquemment utilisée pour ces malades, le taux de réussite étant très élevé.  Par contre, lorsque la greffe de cornée est impossible et/ou n’apportera aucun bénéfice à long terme, l’implantation de la kératoprothèse peut désormais s’avérer une solution alternative chez les patients atteints plus sévèrement, ou présentant des pathologies plus complexes et plus difficiles à traiter.

La kératoprothèse a reçu l’approbation de la FDA en 1992, mais ce n’est que depuis les 7 dernières années qu’on en a vu une utilisation plus marquée aux États-Unis. Maintenant, grâce au département d’ophtalmologie du CHUM, qui demeure constamment à la fine pointe des nouvelles technologies pour ses patients, cette chirurgie se pratique à Montréal.

Plusieurs projets de recherche sont en cours actuellement à l’unité de recherche en ophtalmologie du CHUM. Ces projets ont pour but d’améliorer le succès de la kératoprothèse Boston et d’augmenter son accessibilité aux patients.

 

 

(Source : Dr Mona Harissi-Dagher, département d'ophtalmologie, Université de Montréal).

 


À propos de cette étude

Cette recherche a été financée par :

le Programme de chaires de recherche du Canada;
les Instituts de recherche en santé du Canada;
la Fondation CHU Sainte-Justine, le Conseil européen de la recherche;
la Fondation Veronneau-Troutman;
le Fonds de recherche en ophtalmologie de l'Université de Montréal;
la subvention PAI/33 PAI/UIAP;
le Fonds National de Recherche Scientifique de Belgique.


Liens et sources principales :

Journal of Neurophysiology : Tracking the evolution of crossmodal plasticity and visual functions before and after sight-restoration (17 décembre 2014)

Science Daily : How does the brain adapt to the restoration of eyesight ? (19 janvier 2015)

Jean Etienne

 

 

 
Crédit image : Université Mc Gill.
 

 

 
 
 

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