25 janvier 2015

 

"S", et ce fut le début des télécommunications

 
Il y a plus d'un siècle, le 12 décembre 1901, un signal radio traversait l'Atlantique. Une simple lettre, un S, soit trois points en morse frappés sur un manipulateur depuis la station de Poldhu, dans le sud-ouest de l'Angleterre, étaient reçus à Terre-Neuve, au Canada, à 3540 km de distance.

Des télégraphes

Tout avait commencé par le télégraphe Chappe, ou télégraphe optique, qui permettait de transmettre les mots à distance au moyen d'un ingénieux dispositif. Composé d'un long châssis garni de lames à la manière des persiennes, tournant autour d'un axe fixé sur un mât qui lui-même roule sur un pivot et est maintenu à la hauteur de 3,30 m par des jambes de force de manière à rendre visibles tous les mouvements de la machine, cet encombrant dispositif soutenait deux sortes d'ailes tournantes capables de prendre n'importe quelle position.

Cent signes avaient été ainsi définis par l'administration française, comprenant les vingt-six lettres de l'alphabet, les chiffres et signes de ponctuation ainsi que divers codes de transmission.

Mais ce dispositif, qui permettait pour la première fois la transmission de message à distance, souffrait de graves défauts. L'observation d'un poste à l'autre nécessitait de puissants télescopes et des pendules à secondes, et la brume interdisait toute communication. La distance franchissable, si elle était théoriquement illimitée, rendait indispensable la construction de nombreux relais dans la zone de visibilité et la mer constituait une limite.

Souvent, les opérateurs se contentaient de répéter les signaux qu'ils apercevaient sans avoir été formés à leur interprétation, et introduisaient involontairement des erreurs pouvant en modifier le sens… Néanmoins, cela marchait. On recevait de Paris des nouvelles de Calais en trois minutes, par trente-trois télégraphes; de Lille, en deux minutes, par vingt-deux télégraphes; de Strasbourg, en six minutes et demie, par quarante-quatre télégraphes; de Brest, en huit minutes, par cinquante-quatre télégraphes.
 
 

 
Carte des lignes de télégraphe Chappe établies en France entre 1793 et 1852
 
La révolution du télégraphe électrique

Puis vint la Fée électricité. Rapidement et avant d'éclairer le monde, elle avait appris à écrire et transmettre les mots à distance. Ce télégraphe électrique, bien que nécessitant encore de lourdes installations, avait rapidement supplanté le télégraphe Chappe et s'affranchissait des contraintes liées à une transmission optique en autorisant le transport de l'information à travers le brouillard et, surtout, par-delà les mers au moyen de câbles sous-marins.

Cependant dérouler un câble sur de très longues distances restait une entreprise risquée et aléatoire. La corrosion, les accidents, et surtout la nécessité d'amplifier le signal tout le long du conducteur à intervalles réguliers en limitaient le développement et surtout en augmentait le coût d'exploitation.

Mais une idée révolutionnaire planait déjà, qui allait bientôt changer la face du monde… Depuis quelques années, un jeune autodidacte italien, Guglielmo Marconi, se livrait avec succès à des expériences de transmission de signaux radioélectriques sans fil.

A de courtes distances pour commencer : les 100 mètres séparant sa maison du fond du jardin. Cependant les savants de l'époque soutenaient que les ondes ne pourraient jamais traverser un obstacle massif. Mais Marconi, parfait autodidacte, ignorait cette impossibilité. Peut-être que s'il avait été détenteur d'une science "officielle", ses expériences n'auraient jamais été poussées plus loin…

Il plaça ainsi son émetteur près de la maison, et le récepteur à trois kilomètres derrière une colline, son domestique Mignani campé à côté de l'appareil avec l'ordre de tirer un coup de feu en l'air s'il recevait le signal convenu, déjà la simple lettre S. La détonation qui retentit annonçait la première transmission en Morse de l'Histoire.
 
Le tout premier émetteur construit en Italie par Marconi.
Le ministre italien des postes et communications de l'époque ayant déclaré l'invention de Marconi "non appropriée aux télécommunications", celui-ci se tourna vers la patrie d'origine de sa mère, l'Angleterre, qui lui accorda l'argent et les techniciens nécessaires à la poursuite de ses expériences. D'abord 15, puis 30, bientôt cent kilomètres, la radiotélégraphie devenait rapidement une réalité. Cependant il restait une étape capitale à franchir, la transmission transatlantique. Suivant les savants, c'était rigoureusement impossible, à cause de la rotondité de la Terre. Mais Marconi avait désormais l'habitude de ces choses "impossibles"…

La station émettrice fut construite sur le site de Poldhu, dans les Cornouailles, dans le sud-ouest de l'Angleterre. Composée de 20 mâts de 65 mètres de hauteur reliés par de multiples conducteurs, elle fut d'abord entièrement détruite par une tempête en septembre 1901. Marconi et ses assistants se remettent au travail et bientôt détiennent un émetteur cent fois plus puissant que tout ce qui existait jusqu'alors.

La station réceptrice fut conçue sur le même modèle à Cap Cod, dans le Massachusetts. A deux reprises, elle fut aussi balayée par des tempêtes, avant que Marconi ne décide d'implanter ses installations à Signal Hill (un nom prédestiné !) dans un ancien hôpital de Terre-Neuve, au Canada. Mais cette fois, les antennes seraient supportées par cerf-volant ou par ballon.

Depuis début décembre 1901, Poldhu émettait sans discontinuer les trois points de la lettre S en alphabet Morse au moyen d'un émetteur fabriqué par Marconi, alimenté par une génératrice animée par un moteur de 32 cv fonctionnant au pétrole fournissant les 2000 volts nécessaires pour une émission de 25 kW à une fréquence de 328 kHz. Mais de nombreux réglages, ainsi que des aléas météorologiques entraînant la perte de plusieurs ballons ou cerf-volants entravaient les expériences.

Le 12 décembre 1901, à 12 heures 30, Marconi perçut enfin dans ses écouteurs le signal tant attendu. Après plusieurs autres tentatives réussies jusqu'au 14 décembre, le jeune chercheur pouvait enfin annoncer le succès de ses expériences à la face du monde. Et en cette première année du siècle, l'humanité se préparait à changer de visage et basculait dans l'ère des télécommunications.

La suite, on la connaît. Le développement de la radiotélégraphie sera fulgurant, et ce seront d'abord les secours en mer qui en bénéficieront. Déjà durant l'hiver 1899-1900, un appel à l'aide (CQD, suivant le code de l'époque) avait permis de sauver les 27 membres d'équipage du cuirassé russe Amiral d'Apraxine. Puis en 1906, la conférence radiotéléphonique de Berlin aboutit à une convention signée par 27 états, qui officialisait le code d'appel au secours SOS, celui-ci remplaçant obligatoirement l'ancien CQD.

Non, le Titanic n'était pas le premier

Ce SOS sera employé pour la première fois, non par le Titanic, mais trois ans plus tôt par le paquebot anglais Republic qui, venant de New York, se fait aborder par le paquebot italien Florida venant en sens inverse. Le télégraphiste John Binns arrive alors à remettre en état son transmetteur radio endommagé par la collision et, tandis que son navire coule, transmet le fameux signal accompagné de nombreux "Marconigrammes". Ceux-ci seront reçus par le paquebot allemand Baltic, qui se détourne et sauve 1700 personnes. A la suite de cette catastrophe, le dispositif de télégraphie sans fil sera rendu obligatoire à bord de tous les grands paquebots.

Aujourd'hui, des milliards d'impulsions comme celle qui, jadis, transmirent cette simple lettre S, sont envoyées à travers l'espace chaque seconde. L'article que vous êtes en train de lire a rebondi sur un nombre indéterminé de satellites de communication à 36.000 km de la Terre, et plus personne ne pense à Marconi lorsqu'il empoigne son téléphone portable. Et pourtant, peu d'inventions ont marqué l'humanité de manière aussi indélébile que les transmissions sans fil.

Jean Etienne
 

 

 
Marconi devant l'émetteur qui lui permit de réaliser la première
télécommunication sans fil à travers l'Atlantique le 12 décembre 1901.
 

 

 
 
 

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