5 août 2015

 

Les premiers moteurs russes RD-181 ont été livrés aux USA

 
En toute discrétion, les Etats-Unis viennent de prendre possession des deux premiers moteurs russes RD-181 destinés au lanceur Antares d'Orbital Sciences.

Le 28 octobre dernier, une fusée Antares d'Orbital Sciences explosait à moins de 150 mètres d'altitude, entraînant la perte du vaisseau de ravitaillement Cygnus (baptisé Duke Slayton !) à destination de la Station Spatiale Internationale. L'enquête qui suivit cet échec incrimina bientôt un des moteurs NK-33 du premier étage du lanceur, ce qui ne manqua pas de provoquer de nombreuses réactions de la part de certains observateurs.

Un moteur… soviétique !

Car ce moteur NK-33, étiqueté comme russe, était en réalité soviétique. Dans les années 1960, Sergueï Korolev était chargé d'étudier les plans d'un débarquement de cosmonautes sur la Lune avant les Américains. Pour cela, il devait mettre au point un nouveau lanceur d'une puissance sans comparaison avec tout ce qui existait alors, et qui deviendra la fusée N1-L3. Il sollicite alors l'aide du constructeur Valentin Glouchko afin de réaliser un moteur fonctionnant à l'hydrogène et oxygène liquides, mélange environ 40% bien plus performant que les propergols utilisés jusque-là. Mais suite à des querelles entre les deux hommes, Glouchko refuse, affirmant que "l'hydrogène n'a aucun avenir dans la propulsion des fusées". On appréciera…

Korolev se tourne alors vers le constructeur de moteurs d'avion Nikolaï Kouznetsov, qui accepte. Cependant, la conception et la réalisation d'un moteur à hydrogène réclamant au minimum une dizaine d'années d'études et d'essais, il opte pour un mélange kérozène/oxygène, dont le principe était déjà éprouvé, mais d'une poussée de 150 tonnes encore jamais atteinte en URSS. Ce moteur, ce sera le NK-33 dont trente exemplaires propulseront le premier étage du futur lanceur lunaire.

Quatre lancements de cette gigantesque fusée de 2735 tonnes seront réalisés de 1969 à 1972 depuis le pad 110 du cosmodrome de Baïkonour, qui se traduiront par quatre échecs (les 1er et 3ème détruisant totalement les installations, y compris souterraines), tous provoqués par des défaillances du premier étage, puis le programme sera abandonné.

Plusieurs dizaines de moteurs NK-33 avaient été cependant stockés en Ukraine durant 40 ans, avant d'être convoités par Orbital Sciences qui les avait importés, reconditionnés et rebaptisés AJ-26 avant d'en équiper sa fusée Antarès, dont le cinquième exemplaire devait exploser en ce jour fatidique du 28 octobre 2014…
 
 

 
La fusée lunaire russe N1-L3, dont le premier étage est équipé de 30
moteurs NK-33.
 
Un moteur de remplacement, d'urgence !

Or Orbital Science, détentrice d'un contrat d'une valeur d'un milliard de dollars avec la Nasa pour lancer ses vaisseaux de ravitaillement vers la Station Spatiale, devait trouver d'urgence un moteur de remplacement. SpaceX construit bien des moteurs compatibles, mais il s'agit d'un concurrent et aucun accord n'était envisageable. Plusieurs autres moteurs sont à l'étude en raison de la décision du Congrès de ne plus importer de moteurs russes destinés à la propulsion des fusées américaines, tels le RD-180 de la société NPO Energomash équipant l'Atlas 5. Cependant, ils ne seront disponibles, au mieux, qu'à partir de 2017 ou 2018. Aussi, afin d'honorer son contrat, Orbital Sciences acheta-t-il une fusée... Atlas 5 pour lancer son prochain vaisseau Cygnus vers l'ISS le 19 novembre 2014. Puis se tourna à nouveau vers les Russes.

Coïncidence (mais est-ce vraiment une coïncidence ?), le président américain Obama, qui avait pourtant signé la clause d'interdiction, demandait fin avril 2015 au Congrès de promulguer un amendement autorisant à nouveau l'importation et l'utilisation de ce moteur jusqu'en 2022. Et c'est dans ce contexte que les deux premiers moteurs russes RD-181 (la version du RD-180 destinée à Antares) ont été livrés le 16 juillet dernier aux Etats-Unis, en vertu d'un nouveau contrat de 1 milliard de dollars conclu en… janvier 2015.

Après des essais au banc qui seront exécutés le plus rapidement possible, le premier lancement d'une fusée Antares équipé de moteurs RD-181 est programmé pour le 1er mars 2016, tandis qu'entretemps, le prochain vaisseau de ravitaillement Cygnus sera à nouveau lancé par une fusée Atlas 5… équipée de moteurs RD-180 !

Le contrat actuel porte sur la fourniture de 60 moteurs RD-181 répartie en trois lots de 20. A raison de 2 moteurs par fusée, cela permet donc à Orbital Science d'envisager la construction de 30 lanceurs, désormais rebaptisés Antares-2.

Selon le chef du service de presse du holding russe de hautes technologies Rostec Vassili Brovko, les Etats-Unis ne seront pas en mesure de renoncer aux moteurs de fusée russes au cours des 10-15 prochaines années. Mais c'est un sujet sur lequel les porte-parole des firmes américaines tentent de rester le plus discret possible… En attendant on sabre le champagne chez NPO Energomash, le constructeur du RD-181 !

Jean Etienne
 

 

 
Une fusée Antares d'Orbital Sciences, équipée de deux moteurs AJ-26, l'appellation américaine des NK-33 soviétiques. Crédit Nasa.
 
 
 

 
Le moteur RD-180 russede l'Atlas 5, similaire au RD-181 destiné
à la fusée Antares-2. Crédit Energomash.
 

 

 
 
 

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