8 juillet 2015

 

La bombe surpuissante que les Etats-Unis n'ont pas réussi à construire

 
La bombe fabriquée à partir de l'isomère hafnium Hf-178-m2 aurait pu devenir l'explosif non-nucléaire le plus cher et le plus puissant de l'histoire, si les USA avaient réussi à la construire. Aujourd’hui, cet échec est reconnu comme l'un des plus grands ratés de l'Agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense (Darpa).

Le détonateur a été assemblé à partir d'un appareil à rayons X hors service installé jusque-là dans le cabinet d'un dentiste, et d'un amplificateur domestique acheté dans un magasin d'électronique banal. L'appareil remplissait sa tâche : bombarder de rayons X un gobelet en plastique retourné servant de support à un minuscule échantillon de hafnium à peine visible, ou plus précisément de son isotope Hf-178-m2.

Après le traitement des données recueillies, le directeur du Centre d'électronique quantique Carl Collins a annoncé que cette expérience, qui a duré plusieurs semaines, était un succès. A en juger par les enregistrements des appareils, son groupe avait trouvé un moyen de créer des bombes miniatures d'une puissance colossale, des dispositifs de la taille d'un poing capables de causer des dégâts comparables à plusieurs dizaines de tonnes d'un explosif classique. En fait, un kilogramme de Hf-178-m2 à l'état pur possède une énergie potentielle de 1330 gigajoules, soit l'équivalent de l'énergie dégagée par l'explosion de 317 tonnes de TNT (40 kg de Hf-178-m2 suffiraient donc à fabriquer une bombe de puissance équivalente à celle ayant ravagé Hiroshima).

C'est ainsi qu'a débuté, en 1998, l'histoire de la bombe isomérique, devenue ensuite célèbre comme l'une des plus grandes erreurs dans l'histoire de la science et des recherches militaires.

En dépit du scepticisme de la communauté scientifique, les militaires américains ont littéralement perdu la tête avec les promesses de Collins. Et il y avait de quoi ! Le rayonnement des isomères nucléaires ouvrait la route à la création de bombes foncièrement nouvelles qui étaient, d'une part, bien plus puissantes par rapport aux explosifs classiques et, d'autre part, ne tombaient pas sous les restrictions internationales concernant la production et l'usage de l'armement nucléaire. Une bombe isomérique n'est en effet pas nucléaire, car elle ne demande pas de transformation d'un élément en un autre.

Hf-178-m2

Le hafmium est un métal ductile, d'aspect argenté, chimiquement très semblable au zirconium duquel il est difficile à distinguer bien que son poids spécifique soit presque deux fois supérieur. 72ème élément du tableau périodique, il est excessivement rare et représente 0,00058 % de la croûte terrestre, ce qui lui confère une valeur de plusieurs millions de dollars le gramme. Son point de fusion particulièrement élevé de 3890°C et sa propriété d'absorber les neutrons en font un matériau de choix dans la fabrication de barres de contrôle des réacteurs nucléaires. Même se il n'a pas été largement utilisé dans la construction ou l'aérospatiale, il a été suggéré en tant que matériau de construction pour les structures exposées à une chaleur intense.

Les bombes isomériques auraient pu être très compactes (elles n'ont pas de limitation en termes de masse minimale, au contraire des explosifs nucléaires, car le processus de passage des noyaux de l'état excité à l'état normal ne nécessite pas de masse critique) et en explosant elles auraient libéré une énorme quantité de rayonnement dur, éliminant toute forme de vie. D'autant que les bombes de hafnium pouvaient être considérées comme relativement "propres", l'état fondamental du hafnium 178 étant stable et dépourvu de toute radioactivité intrinsèque. De ce fait, l'explosion n'aurait pratiquement causé aucune contamination des lieux.

Dans les années qui ont suivi, la Darpa a investi dans l'étude de Hf-178-m2 plusieurs millions de dollars. Cependant, les militaires n'ont jamais reçu d'exemplaire fonctionnel de la bombe. Cela s'explique en partie par les échecs du programme de recherche : durant plusieurs expérimentations, en utilisant des émetteurs puissants de rayons X, Collins n'a pu réitérer les résultats obtenus en 1998.

Plusieurs tentatives ont été entreprises durant de nombreuses années pour reproduire ces résultats, mais aucun groupe de scientifiques n'a réussi à confirmer avec certitude l'accélération de la fission de l'état isomérique du hafnium. Les physiciens de plusieurs laboratoires américains se sont penchés sur la question, de Los Alamos à Argonne et Livermore. Ils ont utilisé un émetteur de rayons X bien plus puissant, l'Advanced Photon Source du Laboratoire national d'Argonne, mais n'ont jamais découvert l'effet de fission induite, bien que l'intensité du rayonnement dans leurs expériences dépassait largement celle des expériences de Collins. Leurs résultats ont été confirmés par des experts indépendants d'un autre laboratoire national américain, celui de Brookhaven, qui a utilisé le puissant synchrotron National Synchrotron Light Source. Après plusieurs conclusions insatisfaisantes, les militaires ont perdu l'intérêt pour ce thème, le financement a été suspendu et le programme a été fermé en 2004.

La fin des espoirs

Un point final a été mis à cette histoire par les physiciens russes. En 2005, Evgueni Tkalia de l'Institut de physique nucléaire de l'Université d'État Lomonossov de Moscou a publié dans la revue Les succès de la physique un article intitulé "La fission induite de l'isomère nucléaire 178m2Hf et la bombe isomérique". L'auteur a exposé tous les moyens possibles d'accélérer la fission de l'isomère de hafnium. Il en existe trois: l'interaction du rayonnement avec le noyau et la fission par un niveau intermédiaire, l'interaction du rayonnement avec une enveloppe électronique, qui transfère ensuite l'excitation au noyau, et le changement de la probabilité de fission spontanée.

En analysant ces moyens, Evgueni Tkalia a démontré qu'une réduction conséquente de la demi-vie de l'isomère sous l'effet du rayonnement radiologique allait complètement à l'encontre de toute la théorie reposant à la base de la physique nucléaire contemporaine. Même avec les réserves les plus favorables, les indices étaient largement inférieurs à ceux annoncés par Collins.

Le 178m2Hf aurait pu servir à fabriquer un excellent explosif, si du moins on avait découvert un moyen permettant d'accélérer significativement son passage à l'état normal, c'est-à-dire créer un dispositif qui jouerait le rôle de détonateur dans la bombe isomérique. Mais il est pour l'instant impossible d'accélérer l'émission de l'énergie colossale confinée dans l'isomère de hafnium. Du moins, avec les technologies existantes.
 

 

 
Une des premières bombes atomiques expérimentales américaines.
 

 

 
 
 

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