23 juillet 2015

 

Un trou noir observé à travers une lentille gravitationnelle

 
Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) et de l’Institut de Physique Max Planck de Munich ont réussi à montrer que le rayonnement de très haute énergie (gamma) émis par certaines galaxies trouve son origine dans le voisinage immédiat du trou noir super massif situé en leur centre.

Pratiquement toutes les galaxies possèdent en leur centre un trou noir super massif. Celui-ci engloutit la matière qui l’entoure et génère en même temps de puissants jets de gaz perpendiculaire au disque d’accrétion et dirigés dans deux directions opposées.

Le mécanisme de production de ces jets de gaz, observables dans le domaine des ondes radio, parfois aussi dans le visible, les rayons X ou gamma, est encore largement inconnu. Les scientifiques savent néanmoins qu’autour du trou noir gravite du gaz très chaud et qu’à cet endroit il règne vraisemblablement de très forts champs magnétiques qui accélèrent les particules en direction de l’espace, le long des jets.

Trop lointaine et trop petite, cette "machinerie centrale" ne peut être observée directement par les astronomes. Pour tenter de contourner cette difficulté, Andrii Neronov, chercheur au Département d’astronomie de la Faculté des sciences de l’UNIGE, Denys Malyshev, post-doctorant dans le même département, et Ievgen Vovk, de l’Institut de Physique Max Planck de Munich, se sont intéressés à la galaxie active PKS 1830-211 qui a la particularité d’être un blazar (blazing quasi-stellar radiosource), c’est-à-dire un cas rare dans lequel l’un des deux jets du quasar se dirige pile en direction de la Terre, si bien que les astronomes regardent directement dans le jet, le long de l’axe longitudinal.

Les blazars sont des quasars très compacts associés à un trou noir supermassif au centre d'un noyau actif de galaxie souvent très éloigné. Leur luminosité peut varier d'un facteur de 1 à 100 d'un jour à l'autre et leurs jets sont dirigés vers la Terre.

Or à peu près à mi-chemin entre la Terre et ce blazar, situé à plusieurs milliards d’années-lumière, se trouve une autre galaxie dont la forte gravité courbe l’espace autour d’elle. La lumière du blazar est ainsi déviée comme si elle passait à travers une lentille. Vue depuis la Terre à l’aide de radiotélescopes, PKS 1830-211 apparaît alors sous la forme d'une double image dans le ciel, chacune étant amplifiée par cette lentille gravitationnelle.
 
 

 
Le blazar PKS 1830-211 tel qu'il se présente à travers la lentille gravitationnelle.
 
Toujours dans le domaine des ondes radio, les astronomes ont dans le passé enregistré des sursauts d’intensité liés à des réactions se déroulant au cœur du blazar. Le trajet de propagation de la lumière n’étant pas de la même longueur pour les deux images, une perturbation du signal est visible dans la première environ 26 jours avant qu’elle n’apparaisse dans la seconde.

Le travail d’Andrii Neronov, de Denys Malyshev et d’Ievgen Vovk a consisté à rechercher des éruptions dans le domaine du rayonnement gamma dans les données fournies par le téléscope LAT (Large Area Telescope) monté à bord du télescope spatial Fermi. Opérant dans le rayonnement de très haute énergie, où les lois de l’optique classique ne sont plus valables, ces appareils ne possèdent pas une résolution suffisante pour représenter les deux images de PKS 1830-211 séparément. Elles apparaissent comme un seul point.

Malgré cela, les astronomes ont constaté la présence d’éruption de rayons gamma comparables à celles observées dans le domaine radio mais avec des facteurs de gain d’intensité beaucoup plus grands et variables.

Selon les auteurs de l’article, les variations d’intensité des rayons gamma sont elles aussi issus d’éruptions survenant au cœur du blazar. Seulement, elles seraient amplifiées non pas par la galaxie intermédiaire dans son ensemble mais par des étoiles isolées qui passeraient exactement devant la source des rayons gamma. C’est ce qui s’appelle une microlentille gravitationnelle.

Le résultat, vu depuis la Terre, est une amplification sélective, une mise en évidence temporaire du rayonnement gamma sous l’effet gravitationnel d’étoiles individuelles. Dans le cadre de cette hypothèse, les résultats des auteurs de l’article seraient cohérents avec l’existence d’une source de rayons gamma très compacte, d’une superficie de seulement quelques dizaines de milliards de kilomètres. Ceci correspond approximativement au diamètre d’un trou noir d’un milliard de masses solaires – et accessoirement aussi à celui du Système solaire.

"Le domaine des rayons gamma semble en réalité légèrement plus grand que le trou noir lui-même", ajoute Andrii Neronov. En d’autres termes, le rayonnement gamma est susceptible d’être généré à proximité du trou noir et, pour ainsi dire, à la base du jet.

Si le lieu d’origine semble se préciser, le mécanisme de production du rayonnement gamma est, quant à lui, toujours inexpliqué. D’après la théorie courante, le trou noir et le disque de gaz seraient entourés par un fort champ magnétique dans lequel les particules comme les électrons sont accélérées à une vitesse proche de celle de la lumière. Ces particules entrent alors en collision avec des grains de lumière (photons) et leur transfèrent tant d’énergie qu’elles deviennent des rayons X ou gamma.

Source :

Central engine of a gamma-ray blazar resolved through the magnifying glass of gravitational microlensing. Nature Physics, 6 juillet 2015.
 
 
 

 

 
 
 

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