4 juin 2015

 

L'incroyable ballet des lunes de Pluton

 
Ayant rassemblé l'ensemble des données rendues disponibles par le télescope spatial Hubble sur la planète naine Pluton et ses quatre satellites naturels connus à ce jour, les scientifiques connaissent à présent ce système mieux que jamais. Et leurs découvertes sont proprement stupéfiantes !

Les observations montrent qu'au moins deux des lunes de Pluton ne tournent pas régulièrement sur leur axe, mais suivent une orbite chaotique autour de Pluton et de son satellite Charon. On devrait plutôt parler de planète double Pluton-Charon, car la différence de masse relative entre les deux corps étant particulièrement faible, ceux-ci tournent en réalité autour d'un barycentre situé entre eux. A titre de comparaison, la différence de masse entre la Terre et la Lune est de 1/80, alors qu'elle n'est que de 1/8 pour le système Pluton-Charon. L'étude laisse aussi apparaître que l'une des lunes possède une coloration noir de jais inexpliquée à ce jour.

La grande majorité des satellites naturels de notre Système solaire, y compris notre Lune, est en rotation synchrone avec sa planète. Autrement dit, ils lui présentent toujours la même face, même si de très légères oscillations peuvent apparaître si l'orbite n'est pas parfaitement circulaire. Or, cette règle est systématiquement transgressée pour Pluton dont aucun des satellites ne possède de "face cachée".

Rotation chaotique

Les résultats surprenants de la nouvelle étude indiquent que deux des lunes de Pluton, Nix et Hydra, sont en rotation chaotique. Cela signifie qu'un observateur sur Pluton ne verrait pas la même face de ces lunes d'une nuit à l'autre. Et si ce même observateur se déplaçait à la surface d'un de ces satellites, il se trouverait dans une situation bien étrange, car chaque journée serait d'une durée différente de celle qui l'a précédée. Les deux autres lunes connues, Kerberos et Styx, n'ont pas encore été étudiées en profondeur, mais seraient tout aussi chaotiques selon les premiers résultats.

"Avant les observations du télescope spatial Hubble, personne ne s'était rendu compte de la complexité de la dynamique de Pluton", explique Mark Showalter, de l'institut Seti, en Californie, spécialisé dans la recherche de la vie extraterrestre.

Les mouvements chaotiques des satellites de Pluton sont provoqué par les deux organes centraux du système, soit Pluton lui-même et Charon. "Ces deux corps tourbillonnent rapidement l'un autour de l'autre, entraînant des forces gravitationnelles variables qui s'exercent constamment sur les autres satellites et en modifient constamment les orbites", explique Doug Hamilton, de l'Université du Maryland et co-auteur de l'étude. "Le fait d'être soumis à ces forces gravitationnelles variables rend la rotation de ces lunes très imprévisible. Ce chaos dans leur rotation est encore accentué par le fait que ces lunes ne sont pas sphériques, mais en forme de ballon de rugby !"

Un modèle pour les étoiles binaires

Le ballet des lunes du système Pluton-Charon offre des indications précieuses sur les façons dont les planètes orbitant autour d'une étoile double peuvent se comporter. "Nous apprenons que le chaos peut être un trait commun des systèmes binaires", poursuit Hamilton. "Cela pourrait même avoir des conséquences sur les possibilités de vie à la surface de planètes tournant autour de tels systèmes".

Les premiers indices suggérant un tel système sont apparus lorsque les astronomes ont mesuré avec précision les variations d'éclat dans la lumière réfléchie par les deux lunes Nix et Hydra. En comparant les images prises par Hubble, il a été constaté que leur luminosité changeait de façon imprévisible, au lieu de suivre un cycle régulier. Cette singularité, unique dans le Système solaire, ne pouvait s'expliquer que par un mouvement chaotique.

Les images ont aussi montré que Kerberos réfléchit aussi peu la lumière que du charbon de bois, un contraste criant avec le blanc éclatant des autres lunes. Il avait bien été prédit que les multiples impacts de météorites auraient pu produire une grande quantité de poussière enduisant littéralement les satellites d'une couche sombre, mais une telle différence entre des lunes d'un même système reste inexpliquée.

Et encore des surprises

La rotation chaotique des satellites n'est toutefois pas la seule surprise de cette étude. La surveillance prolongée de Nix, Styx et Hydra a révélé un lien entre leurs orbites. "Leurs mouvements sont reliés par un effet de résonnance à l'instar des trois grandes lunes de Jupiter", indique Doug Hamilton. "Si vous vous installiez sur Nyx, vous verriez Styx faire le tour de Pluton exactement deux fois pendant qu'Hydra en fait le tour trois fois".

Ces mouvements chaotiques n'indiquent cependant pas qu'un système aussi complexe est sur le point de se désagréger. Au contraire, cette situation perdure depuis des temps immémoriaux et de nouvelles études seront nécessaires pour déterminer le devenir à long terme du système Pluton-Charon. En attendant, les scientifiques conviennent que la comparaison des données de Hubble avec les résultats de la sonde New Horizons, qui croisera Pluton en juillet prochain, et éventuellement les observations du futur télescope spatial James Webb permettra de résoudre de nombreux mystères de cet étrange système.

"Pluton continuera à nous surprendre, même après le passage de New Horizons le 14 juillet prochain", ajoute Showalter. "Notre travail avec Hubble nous donne juste un avant-goût de ce que l'avenir nous réserve".

Jean Etienne

Sources : Hubble Space Telescope - Nasa - Esa

Vidéo du mouvement de Nix sur le site de Hubble

 

 

 
Cette série d'images de Nix montre comment l'orientation de cette lune change de manière imprévisible au cours de son orbite autour du système Pluton-Charon. Cette illustration est basée sur une simulation par ordinateur prenant en compte le mouvement chaotique des quatre plus petits satellites du système. Les scientifiques ont utilisé cette simulation afin de comprendre les changements imprévisibles dans la lumière réfléchie par Nix en orbite autour de Pluton-Charon. Ils ont aussi constaté que Hydra subit également une telle rotation chaotique. Leur forme de ballon de rugby contribue aussi à ce mouvement irrégulier. Crédit : Nasa, Esa, M. Showalter (Seti), G. Bacon (STScl).
 
 
 

 
Cette image illustre les différences d'échelle entre les cinq satellites naturels connus de Pluton, ainsi que leur albédo apparent. Hubble ne pouvant résoudre les détails de surface, ceux-ci sont illustrés de façon générique. Crédit : Nasa, Esa, A. Field (STScl).
 

 

 
 
 

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