12 juin 2015

 

Le langage parlé n'est pas le propre de l'Homme

 
L'Homme est capable de combiner des sons pour générer un nombre illimité de messages. Cette capacité, dont l'origine conserve encore tout son mystère, lui a permis de développer un système de communication qui n'aura de cesse, au cours des millénaires, d'évoluer et de lui permettre de prendre la suprématie sur tout le règne animal.

Aujourd'hui, les éthologistes du laboratoire EthoS en collaboration avec des chercheurs de l’université de St Andrews (Ecosse) et de l’université d’Abidjan (Côte d’Ivoire), ont non seulement vérifié l’hypothèse de l'évolution du langage, mais aussi mis en évidence l'existence de précurseurs parmi d’autres espèces de primates. Ils ont ainsi montré que des singes cercopithèques ajoutent un suffixe à leur cri d’alarme pour modifier le message encodé.

Le langage humain et la communication vocale des primates non-humains sont invariablement présentés comme deux procédés diamétralement opposés. En effet, si l’Homme est capable d’apprendre des autres, d’imiter et de créer une infinité d’énoncés différents, les répertoires vocaux des primates non-humains sont très limités avec des cris acoustiquement peu flexibles et déterminés génétiquement. Mais devant l'extrême complexité du langage humain, les scientifiques estiment qu'il est le fruit d'une évolution amorcée dans la nuit des temps, et que des précurseurs des capacités cognitives et des mécanismes communicatifs humains pourraient exister, à notre époque, chez d'autres espèces de primates.

Notamment, une hypothèse propose que certains primates non humains sont capables de combiner plusieurs cris pour construire un message, surmontant ainsi leur impossibilité de moduler suffisamment les sons qu'ils produisent. Un phénomène similaire existe dans le langage humain, qui consiste à accoler un suffixe à certains mots pour en modifier le sens.

Une ébauche de grammaire

En observant des mones de Campbell, ou Cercopithèques de Campbell , une espèce de primate vivant dans les forêts primaires de l'Afrique de l'Ouest, les chercheurs avaient déjà répertorié un ensemble de six cris d'alarme, parmi lesquels 'krak' et 'krak-oo'. Lorsqu'ils aperçoivent un léopard, c'est-à-dire un de leurs principaux prédateurs, les mâles poussent le cri 'krak' afin d'alerter le harem. Cependant, en présence d'un danger moindre, ils y ajoutent le suffixe 'oo', formant ainsi le cri 'krak-oo'. Un système analogue à la suffixation est donc présent chez ces animaux.

Une nouvelle étude, réalisée par les mêmes chercheurs, vient de franchir une nouvelle étape dans la compréhension de ce phénomène en testant expérimentalement la validité de ce système combinatoire. Pour cela, ils ont utilisé des enregistreurs et des haut-parleurs afin de diffuser des cris 'krak' et 'krak-oo' naturels, ainsi que les mêmes cris synthétisés (soit en ajoutant ou supprimant le suffixe 'oo'). L'expétence a été menée à proximité d'un groupe de 42 groupes de singes Diane sauvages, une espèce différente vivant souvent en association avec les mones de Campbell.

Les résultats montrent que les sujets ont réagi plus fortement aux cris non suffixés (Krak) qu’aux cris suffixés (Krak-oo), en accord avec l’importance du danger encodé. Mais surtout, cette étude a révélé que les singes ont réagi de manière comparable aux cris naturels et aux cris artificiels, confirmant l’hypothèse d’une capacité combinatoire.

Ces résultats sont particulièrement intéressants car ils démontrent expérimentalement, pour la première fois chez l’animal, l’existence d’un système combinatoire modifiant le message transmis de manière pertinente pour les receveurs. Ce système permettrait donc effectivement aux singes de diversifier les messages transmis aux autres individus en dépit de capacités d'articulation limitées. La capacité à combiner des sons aurait ainsi été une étape clé dans l’émergence du langage.

Publication source :

Suffixation influences receivers' behaviour in non-human primates (Proceedings of the Royal Society of London). Coye C, Ouattara K, Zuberbühler K, Lemasson A. 22/05/2015.
 

 

 
Cercopithèques de Campbell
 

 

 
 
 

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