8 avril 2015

 

La matière noire n'est pas composée de particules !

 
Une nouvelle étude conduite par des scientifiques de l'EPFL et de l'Université d'Edimbourg réfute l'hypothèse selon laquelle la matière noire serait composée de particules.

Alors même qu'elle représente 90% de toute la matière contenue dans l'Univers, nous savons très peu de choses de la matière noire. Une hypothèse prédominante parmi les astronomes voulait que la matière noire soit constituée d'une particule subatomique nouvelle, que nous n'avons pas encore découverte. Des théories plus exotiques décrivent la matière noire soit comme une anomalie quantique remontant à la naissance de l'Univers, ou une masse extra-dimensionnelle, voire une forme de gravité modifiée. Différentes théories s'affrontent ainsi depuis des décennies pour en fournir une explication, mais jusqu'ici aucune d'entre elles n'a prévalu.

Dans une étude menée en collaboration par l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL - Suisse) et l'Université d'Edimbourg (Ecosse), des scientifiques ont étudié le comportement de la matière noire lors des collisions d'amas de galaxies, évènements pouvant durer plusieurs milliards d'années mais dont nous pouvons observer les différentes phases dans de nombreux exemples. Publiées dans Science, leurs découvertes remettent en question au moins une des principales théories sur la matière noire.

Matière noire et amas de galaxies

Ce qui est déjà connu, c'est que la matière noire interagit fortement avec les structures cosmiques au moyen de sa force gravitationnelle, en les façonnant et en les travaillant. Notamment, elle infléchit la lumière qui la traverse ou passe à proximité, déformant l'image d'objets spatiaux lointains. De plus, elle accélère le mouvement des galaxies à l'intérieur des amas galactiques, qui sont des ensembles de centaines ou de milliers de galaxies, contenant des quantités littéralement astronomiques d'étoiles, de planètes et de gaz. Les amas de galaxies sont eux-mêmes constitués de 90% de matière noire, ce qui en fait des objets idéaux pour étudier celle-ci, particulièrement lorsqu'elles entrent en collision et forcent leur matière noire respective à interagir.

Explorer l'obscur

David Harvey, post-doctorant et chercheur au Laboratoire d'astrophysique de l'EPFL, étudie les collisions d'amas galactiques, à la recherche d'indices sur la nature de la matière noire. Poursuivant son travail de thèse à l'Observatoire royal d'Edimbourg, lui et ses collègues ont étudié les données de 72 collisions d'amas de galaxies, des télescopages cataclysmiques pouvant durer des milliards d'années. Lorsque ces événements se produisent, la matière noire de chaque amas interagit avec celle de l'autre, offrant ainsi une opportunité unique d'étudier le phénomène.

Plus particulièrement, les chercheurs ont analysé les données des collisions fournies par le Chandra X-ray Space Observatory et le télescope Hubble afin de déterminer le changement de quantité de mouvement de la matière noire lorsque deux amas de galaxies s'interpénètrent. Des expériences menées sur Terre, par exemple au CERN dans le Grand collisionneur de hadrons (Large Hadron Collider), nous montrent en effet que quand des particules interagissent, elles échangent de la quantité de mouvement. Comprendre comment la matière noire interagit après une telle collision permet de tirer des conclusions sur sa nature.

Pour mettre à l'épreuve la théorie selon laquelle la matière noire est constituée de particules, l'étude s'appuie sur deux scénarios possibles: ou bien les particules de la matière noire interagissent fréquemment mais échangent peu de quantité de mouvement, ou bien elles interagissent rarement mais échangent beaucoup de quantité de mouvement. Dans le premier cas, la matière noire devrait ralentir après la collision, parce que les interactions fréquentes entre particules devraient provoquer un effet de freinage additionnel. Dans le second scénario, la matière noire devrait tendre à s'échapper et à se perdre dans l'espace.

Aucune interaction !

De manière surprenante, l'étude a révélé que dans les collisions d'amas galactiques, les masses de matière noire passent simplement l'une à travers l'autre. Cela implique que les particules de matière noire n'interagissaient pas entre elles, car alors un ralentissement de ces masses en mouvement devrait se produire. Autrement dit, si la matière noire interagit nettement sur la matière visible, elle n'interagit pas avec elle-même !

Plus important, l'étude contredit l'hypothèse considérée jusqu'ici comme la plus plausible, selon laquelle la matière noire serait constituée de particules de type proton, ou même n'importe quel type de particule.

"Nous avons constaté que, tout comme les galaxies, la matière noire a continué tout droit à travers les violentes collisions sans beaucoup ralentir. Cela signifie que la matière noire n’interagit pas avec des particules visibles et vole dans d’autres concentrations de matière noire avec beaucoup moins d’interaction qu’on ne le pensait. Si la matière noire rencontrait une résistance contre d’autres matières noires, la distribution des galaxies aurait changé. Si elle était simplement constituée de 'protons sombres' ou d'autres particules, nous pourrions nous attendre à les voir rebondir l'un sur l'autre ", ajoute en substance David Harvey.

La matière noire appartient-elle seulement à notre Univers ?

Ce travail résulte d'une collaboration entre le Laboratoire d'astrophysique de l'EPFL, le Royal Observatory de l'Université d'Edimbourg, l'Institute for Computational Cosmology at Durham University, et le Mullard Space Science Laboratory à l'University College London.

Jean Etienne

Source :

The non-gravitational interactions of dark matter in colliding galaxy clusters, Science, 27 mars 2015.
The non-gravitational interactions of dark matter in colliding galaxy clusters, Cornell University Library.
Télécharger ici la publication originale en pdf (eng).

 

 
 
Configuration observée des trois composantes dans 30 systèmes étudiés. L'arrière-plan montre l'image du HST, La distribution des galaxies apparaît en vert, les gaz en rouge, et la masse totale, dominée par la matière noire, en bleu.
 

 

 
 
 

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