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			La menace terroriste doit-elle amener 
			les États à restreindre ou à encadrer différemment la liberté 
			d'expression ? "Non. Au contraire, il faut réduire la portée des 
			lois imposant des limites à l'exercice de cette liberté 
			fondamentale. Sinon, nous donnons raison aux assassins", croit 
			Pierre Trudel, professeur à la Faculté de droit de l'Université de 
			Montréal et chercheur au Centre de recherche en droit public. 
			Le jour même de la tuerie au siège 
			social de l'hebdomadaire Charlie Hebdo, à Paris, le juriste publiait 
			sur son blogue du Journal de Montréal un billet intitulé "La 
			rectitude mène à la page vide", où une illustration du New Yorker 
			était reproduite. Elle présentait un cadre blanc surmonté de la 
			phrase suivante : "Please enjoy this culturally, ethnically, 
			religiously and politically correct cartoon responsibility, thank 
			you". (Veuillez apprécier cette caricature respectueuse des 
			cultures, ethnies et religions et conforme à la rectitude politique, 
			merci.) 
			 
			Cette caricature montre que la censure "mène à l'image blanche, 
			elle tue le débat démocratique, pouvait-on lire sous la plume du 
			spécialiste du droit des médias. À force de répéter qu'il faut 
			éviter de choquer, d'indisposer, de déranger lorsqu'on caricature et 
			critique, certains chantres de l'éthique de l'information 
			contribuent à rapetisser l'espace de la liberté d'expression [...] 
			C'est ce que vient nous rappeler le caricaturiste du New Yorker dans 
			ce dessin diffusé quelques heures après l'attentat de Paris". 
			 
			Si on en est là aujourd'hui, c'est qu'on a trop concédé aux ennemis 
			de la liberté d'expression, reprend-il en entrevue. "Je me 
			souviens d'un colloque, peu après la publication des caricatures de 
			Mahomet dans Charlie Hebdo, où plusieurs intervenants disaient qu'en 
			censurant ces dessins on aurait évité de froisser les intégristes 
			religieux. Si on agit de cette façon, on s'aventure sur une pente 
			très glissante". 
			 
			Quand il a su que des gens armés avaient tiré sur les dessinateurs 
			français, au matin du 7 janvier, il a été choqué et dégoûté, comme 
			il l'a été lors de la tragédie de Polytechnique Montréal, en 1989, 
			ou après avoir appris l'assassinat de 130 enfants à Peshawar, au 
			Pakistan, en décembre dernier. "Puis je me suis demandé ce que ce 
			geste signifiait en matière de droits fondamentaux. Or, tuer 
			quelqu'un parce qu'il ne pense pas comme nous, c'est considérer que 
			la liberté d'expression doit elle-même être supprimée dans un État 
			de droit. C'est de l'obscurantisme". 
			 
			Selon le titulaire de la Chaire L. R. Wilson sur le droit des 
			technologies de l'information et du commerce électronique, il faut 
			résister à tout prix aux pressions des censeurs et saisir plutôt 
			l'occasion de renforcer la liberté de parole et d'opinion. Dans 
			plusieurs États, des lois entravant cette liberté sont en 
			application. "Ici même, au Canada, il existe une loi interdisant 
			le blasphème. Heureusement, elle n'est plus appliquée, mais elle 
			existe et il serait temps qu'on la supprime !" 
			 
			En plus de sa production scientifique et de ses charges 
			d'enseignement universitaire, M. Trudel tient depuis un an un blogue 
			sur le site du Journal de Montréal. Il y traite principalement de 
			questions liées au monde des technologies de la communication et des 
			médias. 
			 
			Source : 
			Mathieu-Robert Sauvé, Université de 
			Montréal 
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