17 avril 2015

 

Oui, un organisme peut évoluer sans modifier son code génétique

 
Les scientifiques pensaient jusqu'à présent que les variations des individus tels que la taille, la couleur, la tendance au surpoids, l'intelligence, tous caractères s'inscrivant le long d'un continuum, résultaient de causes à la fois génétiques et environnementales, mais sans pouvoir expliquer comment ces deux facteurs étaient reliés. Le voile vient d'être levé... en étudiant des fourmis.

Une équipe de l’Université McGill dirigée par les professeurs Moshe Szyf et Ehab Abouheif, respectivement du Département de pharmacologie et de thérapeutique et du Département de biologie de l'Université Mc Gill (Canada), a clairement identifié un mécanisme clé grâce auquel les facteurs épigénétiques (*), soit la façon dont l’environnement influe sur l’expression d’un gène en particulier, exercent un effet global se traduisant par des variations quantitatives de ces caractères complexes.

Ils sont partis du principe selon lequel, en identifiant pour chacun de ces caractères un gène clé et en découvrant comment il pourrait être modifié épigénétiquement, c'est-à-dire sous la seule influence de l'environnement, il serait possible en retour d'influer, artificiellement cette fois, sur ce gène afin de modifier son expression, donc du caractère concerné. Un peu, pour simplifier, comme un peintre qui ajoute progressivement du blanc au noir pour obtenir diverses nuances de gris.

Des fourmis du genre Camponotus floridanus (mieux connues sous le nom de fourmis charpentières de la Floride) ont servi de cobayes pour cette expérience. Les facteurs génétiques étant peu susceptibles d'influer sur la taille de ces fourmis au sein d'une même colonie, mais aussi parce que le génome de cette espèce a déjà été séquencé, les chercheurs ont choisi celle-ci pour expérimenter l'influence de facteurs épigénétiques sur les variations de taille.

La clé R-EGF

Sous cette dénomination barbare se cache un gène particulier intervenant dans la croissance, dont l'activité peut être modulée par un processus biochimique modifiant le degré de méthylation de son ADN au moyen d'une enzyme, à la manière d'un gradateur modifiant l'intensité lumineuse d'une ampoule d'éclairage. En agissant ainsi sur l'ADN de ce gène (sans toutefois le modifier), les chercheurs sont parvenus à créer des fourmis de différentes tailles, et ce en dépit de toute différence génétique. En fait, ils ont découvert que plus le gène était "méthylé", plus les fourmis étaient grandes, et ainsi déterminé par quel mécanisme l'environnement interagit avec certains gènes, révélant ainsi que les facteurs environnementaux jouent un rôle tout aussi important que la génétique dans la détermination de caractères complexes.

"Fondamentalement, nous avons découvert un genre d’effet en cascade. En modifiant le degré de méthylation d’un gène en particulier qui exerce un effet sur d’autres gènes – comme, dans ce cas, le R-EGF –, nous avons pu intervenir sur tous les autres gènes participant à la croissance cellulaire", explique Sebastian Alvarado, doctorant à McGill et coauteur principal de l’étude dont les résultats viennent d'être publiés dans la revue spécialisée Nature Communications. "Nous avons travaillé avec des fourmis, mais c’était un peu comme si nous avions découvert que nous pouvions créer des êtres humains plus petits ou plus grands".

Trouver le bon gène sur lequel travailler

"Dans le cas de la croissance chez les fourmis, c’est le gène R-EGF qui s’est révélé déterminant", affirme Rajendhran Rajakumar, coauteur principal de l’article. "Toutefois, dans le cas d’autres caractères complexes, qu’ils interviennent dans la croissance de cellules cancéreuses chez l’humain ou de cellules adipeuses chez le poulet, nous savons maintenant qu’une fois que nous avons découvert, dans chaque cas, la position génétique clé touchée par des facteurs épigénétiques, nous pouvons influencer le degré d’expression du gène, ce qui peut mener à des résultats ayant une portée très considérable".

"Il s’agit d’une découverte qui modifie complètement notre compréhension de la façon dont les variations surviennent chez l’homme", affirme le professeur Abouheif. "De très nombreux caractères humains, qu’il s’agisse de l’intelligence, de la taille ou de la vulnérabilité à certaines maladies comme le cancer, s’inscrivent le long d’un continuum. Si, comme nous le croyons, ce mécanisme épigénétique s’applique à un gène clé dans chaque domaine, le changement est tellement important qu’il est difficile d’imaginer à l’heure actuelle comment il influencera la recherche dans tous les domaines, de la santé au développement cognitif, sans oublier l’agriculture".

(*) L'épigénétique est l'étude des changements d'activité des gènes - donc des changements de caractères - qui sont transmis au fil des divisions cellulaires ou des générations sans faire appel à des mutations de l'ADN.
Par exemple, une même larve d'abeille deviendra une reine ou une ouvrière en fonction de la façon dont elle est nourrie, et un même œuf de tortue peut éclore en mâle ou femelle en fonction de la température.
Il s'agit bien de l’expression du même code génétique global, mais des facteurs environnementaux ont sélectionné une expression plutôt qu'une autre, chacune étant disponible dans la "base de données" de l'ADN.

Jean Etienne

Source :

>>  Epigenetic variation in the Egfr gene generates quantitative variation in a complex trait in ants (Nature)
 

 

 
Variations de taille chez Camponotus floridanus.
 

 

 
 
 

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