22 mars 2015

 

La matière sombre, clé de l’Univers

 
Si la nature de la matière sombre reste totalement inconnue, on commence cependant à la "voir". Et ce qu’elle nous révèle déroute complètement les astronomes, au point de remettre en cause la structure même de l’Univers.

Une galaxie, c’est un amas d’étoiles. Et ses limites se déterminent très simplement en observant où les étoiles s’arrêtent. A l’intérieur on se trouve dans la galaxie, comme notre Soleil et toutes ses voisines stellaires, à l’extérieur, là où il n’y a plus rien, on est en dehors. Quoi de plus simple ?

Hélas, l’Univers n’est pas simple. Car les premières cartographies de la distribution de la matière sombre révèlent de longues, très longues traînées de matière noire reliant toutes les galaxies entre elles, à l’image de dendrites reliant les neurones d’un gigantesque cerveau.

Pour rappel, la matière, celle que nous ressentons en nous pinçant, ne constitue que 5% de la masse totale de l’Univers. La matière sombre, ainsi nommée parce que personne ne sait de quoi il s’agit, en constituerait jusqu’à 22%. Et l’énergie sombre, dont l’existence n’est guère moins mystérieuse, représente le reste.

Mais si elle échappe à tous les regards, comment la voir ? Eh bien c’est tout simple, on fait comme pour le vent… Le vent est invisible, mais il suffit de voir bouger les feuilles d’un arbre pour avoir la certitude de son existence. La matière sombre se révèle, elle, par l’influence gravitationnelle qu’elle exerce sur son entourage, dont précisément les galaxies. Les physiciens savent, depuis Einstein, que la lumière est déviée à proximité d’un objet massif, qu’il s’agisse d’un trou noir ou d’une galaxie, c’est ce qu’on appelle un effet de "lentille gravitationnelle".

Et c’est là qu’intervient un des plus ambitieux projets de cartographie du ciel jamais entrepris, le Sloan Digital Sky Survey. C’est en puisant dans sa base de données de plus en plus gigantesque qu’une équipe de scientifiques japonaise dirigée par Shogo Masaki, de l’Université de Nagoya, a produit par simulation informatique, au terme de douze années de travail, la carte révélant ces traînées de matière sombre intergalactiques.

Le défi était immense, car déterminer l’influence gravitationnelle de la matière sombre sur une poignée de galaxies n’aurait pas suffi. Leur simulation jongle avec 24 millions de galaxies, car seul un tel "grand angle" peut permettre de se faire une idée de la distribution de cette matière à l’échelle cosmique. Et cela n’est qu’une partie du travail. En 2010, une équipe dirigée par Brice Menard, de l’Université de Toronto, et Masataki Fukugita de l’Institut japonais de physique et des mathématiques de l’Univers, avait détecté l’effet de lentille gravitationnelle autour des 24 millions de galaxies en question. En février 2012, une autre équipe internationale avait analysé la lumière de 10 millions de galaxies, dans quatre différentes régions, pour en tirer une carte des réseaux de matière sombre et de galaxies d’un milliard d’années-lumière de côtés. Ce sont ces études qui, mises ensemble, permettent enfin de se faire une première représentation de cette structure à l’échelle de l’Univers.

Les filaments enfin observés et étudiés

A présent, avec les observations du Cosmic Web Imager (CWI) du Caltech, déployé sur le télescope Hale de l’Observatoire du Mont Palomar (Californie), les astronomes ont obtenu les premières images tridimensionnelles de l’IGM (IGM pour InterGalactic Medium, le gaz diffus reliant les galaxies dans l’univers.

Le CWI, développé par Caltech, est un imageur spectrographique capable de prendre des photos dans différentes longueurs d’onde simultanément. Il s’agit d’une puissante technique pour étudier les objets astronomiques, car elle permet non seulement de voir ces objets, mais d’en apprendre davantage sur leur composition, leur masse et leur vitesse, apportant ainsi bon nombre de données sur la dynamique galactique et intergalactique.

Les premiers filaments cosmiques observés par le CWI se situent à proximité de deux objets très lumineux : un quasar désigné QSO 1549 19 et un blob Lyman-alpha dans un amas de galaxies émergeant appelé SSA22. Ces objets célestes ont été choisis par les astronomes, car leur extrême luminosité éclaire l’IGM environnant et renforçant son signal détectable.

Les observations montrent un "fin" filament, d’un million d’années-lumière de long, qui circule dans le quasar, alimentant peut-être la croissance de la galaxie qui l’héberge. On y observe aussi trois filaments entourant un blob Lyman-alpha, avec une vitesse rotation qui montre que le gaz de ces filaments se déverse dans le blob et affectant sa dynamique.

En conclusion, l’espace intergalactique est tout, sauf vide. Compte tenu des proportions sombre/visible, il pourrait même être plus rempli que les galaxies elles-mêmes… A moins qu’il ne faille finalement inverser la perspective, et considérer celles-ci comme des "accidents" dans un Univers constitué de matière sombre ?

Sources, entre autres :

Intergalactic Medium Emission Observations with the Cosmic Web Imager: I. The Circum-QSO Medium of QSO 1549+19, and Evidence for a Filamentary Gas Inflow. (CalTech).
Intergalactic Medium Emission Observations with the Cosmic Web Imager. II. Discovery of Extended, Kinematically-Linked Emission around SSA22 Lyα Blob 2. (CalTech).

 

 
 
Cette image profonde présente la nébuleuse (bleu-vert) s’étendant sur 2 millions d’années-lumière qui a été découverte dans le lumineux quasar UM287 (au centre de l’image). Le rayonnement énergétique du quasar fait luire le gaz intergalactique environnant, révélant la morphologie et les propriétés physiques d’un filament galactique.
 
 
 

 
Un quasar illuminant le gaz environnant (en bleu) et, désignée par une flèche, la direction prise par le flux de gaz du filament.
 
 
 

 
Simulation informtique montrant à quoi devrait ressembler notre Univers et ses filaments intergalactiques.
 

 

 
 
 

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