10 décembre 2015

 

La phagothérapie au secours des antibiotiques

 
Alors que l'efficacité des antibiotiques se réduit de façon alarmante et que des bactéries portant un gène protecteur garantissant leur survie face à une telle agression ont été récemment identifiées en Chine et au Danemark, signifiant une menace sérieuse au niveau biologique, la phagothérapie s'annonce comme un traitement privilégié contre toute infection bactérienne à l'avenir.

En novembre dernier, des chercheurs chinois avaient annoncé la découverte d'un gène responsable de la résistance des bactéries à l'un des antibiotiques de la dernière génération, l'un des plus puissants.

Le scientifique Frank Aarestrup, de l'Université technique du Danemark, s'est attaché à rechercher le gène spécifique tout d'abord signalé par une équipe chinoise. Utilisant une base de données bactériennes recueillies dans son pays, il a réussi à le retrouver dans plusieurs sources porteuses. Le chercheur a également découvert que les gènes danois et chinois étaient identiques, donc ils n'étaient pas apparus séparément et sont donc vraisemblablement présents dans un grand nombre de familles bactériennes. D'où l'intérêt présenté par une technique de lutte contre les infections bactériennes très différente de l'antibiothérapie : la phagothérapie, ou traitement par les bactériophages (ou phages).

Pour préserver l’efficacité des antibiotiques, l’Europe se tourne vers la phagothérapie

La phagothérapie est le traitement d’infection bactérienne par des phages. Bien qu’existant depuis presque un siècle, la médecine occidentale commence seulement à s’y intéresser sérieusement. Elle la considère comme l’alternative la plus prometteuse aux antibiotiques.

C’est en tout cas le pari du projet européen de grande ampleur, Phagoburn, auquel participent notamment plusieurs équipes belges. Son but : produire des phages suivant les normes standardisées GMP, (Good medicine practice), et tester leur efficacité dans des essais cliniques.

Les phages existent depuis des millions d’années et se retrouvent dans tous les biotopes. Inoffensifs pour l’homme, ceux-ci se révèlent redoutables quand il s’agit de lutter contre les bactéries pathogènes.

Bactériophage et bactérie, un couple qui dure

Les bactériophages ont été découverts il y a un siècle mais, en 1928, Alexandre Fleming découvre la pénicilline, et les antibiotiques sont privilégiés aux phages. Production plus facile, molécules brevetables, action bactéricide à large spectre, l’antibiotique est devenu l’antibactérien le plus utilisé dans le monde. Avec les problèmes de résistance que l’on connaît aujourd’hui…
 
 

 
Ces phages, environnant et attaquant une cellule bactérienne, font partie d'un type nouvellement découvert de l'immunité qui protège le tissu humain d'une infection bactérienne. Crédit : Graham Barbes / Wikipédia.
 
La recherche commence donc à se tourner vers la phagothérapie depuis quelques années.
"Il faut voir le couple bactérie/bactériophage comme une entité qui évolue ensemble. Un peu comme une relation hôte-parasite. Les phages régulent les populations de bactéries, et inversement" explique Daniel De Vos, chercheur microbiologiste à l’Hôpital Militaire Reine Astrid. "Le phage n’a pas intérêt à éradiquer complètement la bactérie. Un certain équilibre doit être maintenu. La phagothérapie doit donc être utilisée en complément d’un antibiotique. Ou pour faire en sorte de réduire le nombre de bactéries pour permettre au système immunitaire de prendre le dessus".

Phagothérapie vs antibiotiques

Par rapport aux antibiotiques, le bactériophage présente plusieurs avantages, comme l’explique le Dr Jean-Paul Pirnay, chercheur au laboratoire de technologie moléculaire et cellulaire de l’hôpital Reine Astrid : "Un phage est très souvent spécifique à une espèce de bactérie, voire même une souche. Contrairement aux antibiotiques qui s’attaquent à plusieurs espèces de bactéries, même celles qui ne sont pas pathogènes". Et d'ajouter : "L’utilisation de phages permet donc d’éviter beaucoup d’effets secondaires. De plus, le phage va co-évoluer avec sa bactérie, c’est-à-dire s’adapter aux résistances qu’elle pourrait développer. Et puis le phage est auto-réplicateur, autrement dit, il se réplique lui-même dans son environnement".

Des phages difficilement brevetables

Les phages présentent des avantages indéniables par rapport aux antibiotiques. Mais le phage est une entité qui évolue. Il est donc difficilement brevetable, d’où le manque d’intérêt des firmes pharmaceutiques. Ou alors, il faudrait commercialiser des mélanges de phages à large spectre.
"Ce qui nous conduirait aux mêmes problèmes de résistance que l’on a avec les antibiotiques aujourd’hui…" précise le Dr Pirnay. "Pour que la phagothérapie soit réellement efficace, il faut considérer deux méthodes d’utilisation des phages. D’un côté, il y a la vision durable, où l’on connaît la ou les bactéries pathogènes. On peut alors prescrire un cocktail de phages qui ne va viser que ces bactéries. De l’autre, on trouve l’utilisation à large spectre, où on ne connaît pas exactement la bactérie infectieuse. Un large cocktail de phages va alors détruire un grand nombre d’espèces de bactéries".

L’objectif de Phagoburn est de réaliser ce traitement encore expérimental sur 220 personnes, réparties dans les différents centres hospitaliers français, suisses et belges. "Il y a bien sûr des pressions des firmes pharmaceutiques, qui ne trouvent pas d’intérêt financier dans les phages. Mais peu à peu, on constate une prise de conscience du monde scientifique et des autorités. L’évolution des mentalités va dans le bon sens", affirme le Dr Pirnay.

Sources principales et informations supplémentaires :

Resistance to last-resort antibiotic has now spread across globe (New Scientist).
Drug could kill harmful bacteria but leave benign ones untouched (New Scientist).
Daily Science

 

 

 
Plutôt que d’attaquer des cellules de plantes ou d’animaux, le bactériophage (vu ici au microscope électronique à balayage) utilise les bactéries comme hôtes pour sa réplication. Hautement spécialisé, il se fixe sur une partie spécifique d’une bactérie spécifique, et comme une seringue sur pattes, injecte son matériau génétique stocké dans le bulbe en partie haute.
 

 

 
 
 

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