8 octobre 2015

 

Une armée de petits robots à la poursuite de l'énergie sombre

 
L'expansion accélérée de l'Univers constitue un des plus grands mystères auquel les astronomes doivent actuellement faire face. Pour tenter de le résoudre, les chercheurs vont dresser une carte en 3D de la distribution de 30 millions de galaxies, de la plus proche à la plus lointaine.

Selon toute logique, si l'Univers visible était issu d'un seul point d'origine comme le voudrait la théorie du Big Bang, la force d'attraction, qui s'étend à l'infini, devrait en ralentir l'expansion. Or, il est maintenant démontré que ce n'est pas le cas et que les galaxies accélèrent tout en s'éloignant. La force en œuvre, baptisée "énergie noire", n'est pas identifiée.

Pour résoudre l'énigme, ou du moins le tenter, les chercheurs de l'EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne) vont cartographier la distribution des galaxies de manière extrêmement précise. Ils entreprennent pour cela le programme DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument), piloté par le Laboratoire Lawrence Berkeley (LBNL, USA), et qui a pour objectif de relever individuellement les caractéristiques de 30 millions de galaxies parmi les quelque 100 à 200 milliards actuellement estimées, afin de mieux cerner et décrire les effets, donc la nature, de cette fameuse énergie sombre.

Faisant partie des objets les plus lointains accessibles à l'observation, les galaxies, émettent dans notre direction un rayonnement lumineux qui est aussi un témoin de l'expansion de l'Univers. En effet, plus la galaxie est éloignée, plus elle s'éloigne rapidement, ce qui par effet Doppler fait glisser la fréquence de la lumière vers le rouge, un phénomène que les astronomes appellent le "redshift". La plus lointaine connue à ce jour est EGS-zs8-1, dont le redshift nous indique une distance de 13,1 milliards d'années-lumière. Elle nous apparaît donc telle qu'elle était au tout début de l'Univers.

Un véritable travail d'horloger

La préparation du programme requiert patience d'horloger et doigts de fées… Pour cela, les chercheurs placent de nombreuses fibres optiques au plan focal du télescope Mayall de 4 mètres au Kitt Peak National Observatory (Arizona). Disposées manuellement avec une précision redoutable, chacune des fibres ne doit capter que le signal de la galaxie visée. Pour cela, un gabarit est confectionné, percé d'un millier de petits trous dont la position correspond exactement à la lumière d'une galaxie reçue au plan focal du télescope. Les fibres sont ensuite placées manuellement une à une dans ces trous. Ainsi, la lumière de chaque galaxie, donc son redshift, peut être mesuré sans aucune interférence avec ses voisines. Cependant, l'observation d'un nouveau champ de galaxies nécessite la confection d'une nouvelle plaque, une opération lente et fastidieuse.

Cependant, le passage d'un champ visuel à un autre nécessite la confection d'un nouveau gabarit, ce qui rend le procédé particulièrement lent et limite la quantité d'observations. Aussi, l'idée est ensuite de construire une plate-forme comprenant cette fois 5000 fibres optiques, non plus immobilisées dans un gabarit, mais pilotées individuellement par 5000 petits robots mobiles couvrant la totalité du plan focal du télescope. Ces robots ultra-précis et miniaturisés seront réalisés à l’EPFL par les équipes de l’astrophysicien Jean-Paul Kneib, des roboticiens Mohamed Bouri et Hannes Bleuler, en collaboration avec des collègues de l’Université du Michigan et du LBNL.

Ce dispositif sera capable de repositionner les 5000 fibres optiques en moins d'une minute selon le champ du ciel observé, et d'établir en une seule nuit et 30 repositionnements les caractéristiques extrêmement précises de 150.000 galaxies, de façon à rapidement atteindre l'objectif final de 30 millions de galaxies. L'énorme base de données ainsi obtenue permettra alors de mesurer la relation entre la distance et le redshift dans l'ensemble de l'Univers avec une précision de quelques dixièmes de pourcents, contre 1 à 2% actuellement.

De l'automobile à l'astronomie

Le logiciel de positionnement des petits robots a été confié à Laleh Makarem, post-doctorante au laboratoire de Denis Gillet à l’EPFL, qui auparavant travaillait sur… la modélisation du trafic automobile urbain. "Les algorithmes que je développais représentaient chaque véhicule de manière indépendante", explique Laleh Makarem. "Les véhicules se meuvent comme des entités séparées, qui se calent sur les mouvements des autres et évitent les collisions. C’est exactement le même principe qui fait se mouvoir les 5000 robots".

Les micro-robots seront conçus par les chercheurs de l'EPFL et assemblés aux Etats-Unis, à l’Université du Michigan, et seront équipés d'un moteur miniature couplé à un étage réducteur jouant le rôle d'une boîte de vitesses. Après un premier déplacement relativement rapide, ils ralentiront afin que leur tête de positionnement s'immobilise avec une précision de 5 microns, à l'endroit exact où aboutit la lumière de la galaxie à observer.

Le dispositif complet sera déployé en 2019 au Télescope Mayall, en Arizona.

Jean Etienne

 

 

 
Disposition des fibres optiques sur la plaque-gabarit. Chacune correspond à l'emplacement précis d'une galaxie vue au foyer du télescope. Crédit EPFL.
 

 

 
 
 

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