22 octobre 2015

 

Des insectes à trois paires d’ailes !

 
Si l’évolution nous a habitués à des adaptations au milieu parfois surprenantes, celle-ci s’accomplit à coups de transformations ou de pertes. Mais jamais d’ajout. Ainsi, un insecte sera toujours doté de deux paires d’ailes, ou d’une seule si l’une d’entre elles s’est atrophiée, voire aucune. Mais jamais trois, il s’agit là d’un dogme bien établi.

Eh bien ce dogme, il a été brisé par une équipe de biologistes marseillais en étudiant les membracides, un groupe d’insectes cousin des cigales dont nous apercevons souvent des représentants dans nos jardins !

Les membracides sont un groupe d’insectes cousin des cigales, dont les espèces rivalisent d’originalité dans leurs formes, leurs textures et leurs couleurs. Cette diversité tient notamment à une structure surprenante qui recouvre en grande partie leurs corps : un casque. Celui-ci ressemble parfois à une fourmi en posture d’attaque, d’autres fois à une déjection d’oiseau, à une feuille morte, à une épine... La nature exacte de cette structure était encore controversée avant que l’équipe de Nicolas Gompel et Benjamin Prud’homme, chercheurs à l’Institut de biologie du développement de Marseille-Luminy CNRS/Université Aix-Marseille 2, ne les observe au microscope électronique. Ils ont apporté les preuves que le « casque » exubérant des membracides est en fait une troisième paire d’ailes profondément modifiée.
 
 

 
Diverses espèces de membracides, par Edwin Wilson, de l'Université de Cambridge. (Licence commons).
 
Contrairement à la corne du scarabée rhinocéros, le casque des membracides n’est pas une simple excroissance de la cuticule. Il s’agit bien d’un appendice dorsal attaché de chaque côté du thorax par une articulation, avec des muscles et de la membrane flexible qui lui permettent d’être mobile, autrement dit d’une paire d’ailes ! Ces observations anatomiques se confirment au niveau génétique : les mêmes gènes interviennent pour le développement du casque et des ailes. Cette troisième paire d'aile serait apparue il y a environ 40 millions d'années avant de se dédouaner complétements des contraintes structurelles liées au vol. Les membracides sont donc bien des insectes à trois paires d’ailes, dont l’une est profondément modifiée, méconnaissable.

Cette découverte est le premier exemple d’un changement du plan d’organisation des insectes par l’ajout d’une nouveauté évolutive. Ce plan se définit par un corps divisé en trois parties (tête, thorax et abdomen), une paire d’antennes, trois paires de pattes et, le plus souvent, deux paires d’ailes, toujours présentes sur le deuxième et le troisième segment du thorax. Mais il existe des variations autour de ce plan général : chez les mouches et les moustiques, par exemple, les ailes postérieures sont réduites à de petits ballons appelés balanciers. Chez les coléoptères, la première paire est transformée en élytres. Chez d’autres, comme les puces, les poux ou les punaises, les ailes ont totalement disparu.

Comment une nouvelle paire d’ailes a-t-elle pu apparaître chez les membracides ? "Chez les insectes, la formation des ailes est normalement réprimée sur tous les segments par les gènes Hox, sauf sur le deuxième et le troisième segment thoracique" explique Nicolas Gompel. Ce gène, un des principaux vecteurs de l’évolution, est très important et sa mutation est létale dans près de la moitié des cas.

Le gène Hox qui intervient dans le premier segment du thorax, ne serait-il pas exprimé chez les membracides ? Non, la protéine Hox, le produit du gène, est bien détectée dans le casque en formation. Ce gène serait-il inactif ? Là encore la réponse est non : son injection chez la drosophile inhibe bien la formation des ailes. "Nous sommes confrontés à un paradoxe : un gène Hox qui est capable de réprimer la formation des ailes mais qui ne la réprime pas. Nous pensons que les changements évolutifs touchent plutôt le programme génétique de formation des ailes ; ces gènes seraient devenus insensibles à la répression par le gène Hox", précise Nicolas Gompel.

Ces résultats vont également à l’encontre de l’idée selon laquelle le plan du corps est uniquement régi par les gènes Hox. En effet, le gène Hox n’a pas changé alors que le plan du corps, lui, a évolué.

Jean Etienne

Source :

Body plan innovation in treehoppers through the evolution of an extra wing-like appendage. Benjamin Prud’homme, Nicolas Gompel et autres. CNRS, Nature.

 

 

 
Ceresa taurina, une des nombreuses espèces de membracides. Plus de 20.000 espèces sont actuellement connues. (Licence commons).
 

 

 
 
 

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