25 septembre 2015

 

Un poisson abyssal dont les yeux comportent des miroirs au lieu de lentilles

 
Dolichopteryx longipes, un petit poisson peu spectaculaire vivant à plus de 1000 mètres de profondeur, est probablement le mieux adapté à une vision en l’absence presque complète de luminosité. A défaut de cristallin, ses yeux sont équipés de miroirs.

Découvert il y a plus de 120 ans, ce poisson au long nez communément dénommé spookfish se caractérisait déjà par la présence de deux paires d’yeux, une au-dessus de la tête et l’autre sur les côtés. Mais personne n’avait pu jusqu’ici pu l’étudier en détail, faute d’en posséder un spécimen vivant.

Cette lacune a été comblée par le professeur Hans-Joachim Wagner de l’Université de Tübingen (Allemagne), qui a pu examiner un exemplaire capturé vivant au large des îles Tonga, dans le Pacifique sud et publie ses conclusions dans la revue Current Biology.

Tout d’abord, les deux paires d’yeux n’en sont en réalité qu’une seule, qualifiée de diverticulaire car chacun d’eux est divisé en deux parties interconnectées, l’une regardant vers le haut et l’autre vers le bas. Mais leur structure, examinée au microscope, se révèle particulièrement étonnante. Et pour tout dire, unique dans le règne animal.

Alors que les yeux de tous les vertébrés (entre autres) focalisent la lumière sur la rétine au moyen d’une lentille, le cristallin, la paroi postérieure de ceux du spookfish est tapissée de plusieurs couches de cristaux réfléchissants, constitués de guanine, qui renvoient la lumière sur zone sensible située en avant.

L’utilisation de cristaux de guanine n’est pas unique dans le règne animal, et c’est d’ailleurs ce qui fait la coloration argentée des poissons. Mais ici, la disposition et l’orientation de ces cristaux est contrôlée avec une telle précision qu’ils redirigent la lumière vers un foyer, avec une précision qui n'envie rien aux meilleurs cristallins. L'oeil supérieur et l'oeil inférieur envoient ainsi leurs informations via un réseau de nerfs optiques vers le cerveau, qui les assemble afin de former une image commune aux deux paires d'yeux.

Une simulation effectuée par l’équipe de Hans-Joachim Wagner en laboratoire a permis de confirmer le fonctionnement de cet œil peu commun, qui n’est pas sans rappeler celui des plus grands télescopes terrestres dont les miroirs segmentés sont orientés afin d’obtenir un maximum de luminosité.

Car c’est bien là le but de cette étonnante voie de l’évolution, dans laquelle seul le spookfish semble s’être engagé : s’affranchir d’un système de vision à base de lentilles réfractrices et lui substituer un dispositif faisant appel à un jeu de miroirs réflecteurs. Selon l’équipe, si la lentille fournit des images plus contrastées et plus brillantes, le miroir est plus apte à capter la faible bioluminescence produite par les êtres abyssaux. Cela donne vraisemblablement un net avantage au spookfish en mer profonde, là où la capacité de repérer le plus faible et le plus bref éclat de lumière peut faire la différence entre manger ou être mangé.

Jean Etienne

 

 

 
Dolichopteryx longipes vu du dessus, les yeux bien visibles. Crédit : Hans-Joachim Wagner - Université de Tübingen.
 
 
 

 
Coupe de la partie "catadioptrique" de l’œil de Dolichopteryx longipes. Crédit : Hans-Joachim Wagner - Université de Tübingen.
 
 
 

 
L'extraordinaire oeil double de Dolichopteryx longipes, permettant une vision à très grand angle dans le sens vertical. Crédit : Hans-Joachim Wagner - Université de Tübingen.
 

 

 
 
 

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