5 février 2016

 

Les avantages inattendus du bilinguisme chez les jeunes enfants

 
Une étude de l'Université Concordia (Montréal) le confirme : les jeunes enfants bilingues qui ont davantage l’occasion de passer d’un idiome à l’autre se montrent plus habiles à résoudre certains types de problèmes.

On estime actuellement que la moitié de la population mondiale parle deux langues, ou même plus. Mais le bilinguisme aurait-il des avantages cachés ? Oui selon les résultats de cette étude, qui démontre que les enfants bilingues sont meilleurs que leurs camarades monolingues à un certain type de contrôle mental. Qui plus est, ceux qui sont les plus exercés à l’alternance entre les langues démontrent des capacités encore plus grandes.

Or, c’est grâce à ce va-et-vient langagier parfois ardu que les personnes bilingues parviennent à acquérir une telle capacité. "L’alternance entre les langues devient plus fréquente au fur et à mesure que les enfants grandissent et que leur vocabulaire s’élargit", explique Diane Poulin‑Dubois, professeure au Département de psychologie de Concordia et auteure en chef de l’étude.

"Par conséquent, la performance supérieure observée chez les personnes bilingues à l’exécution de tâches conflictuelles semble être attribuable à une plus grande flexibilité cognitive et à de meilleures capacités d’attention sélective. En effet, les polyglottes ont une plus grande expérience de l’alternance entre les langues pour ce qui est du vocabulaire expressif".
 
La Pr. Poulin-Dubois et Cristina Crivello, doctorante au Centre de recherche en développement humain (CRDH) de Concordia, ont conduit une enquête durant laquelle un groupe de chercheurs ont comparé de jeunes enfants bilingues et leurs pairs monolingues. Notamment, ils ont accompagné et observé de jeunes enfants tandis qu’ils enrichissaient leur vocabulaire dans chacune de leurs deux langues maternelles.

Ils ont ainsi évalué le vocabulaire de 39 enfants bilingues et de 43 de leurs camarades monolingues à l’âge de 24 mois, puis de nouveau à 31 mois. Au cours de la seconde évaluation, les experts ont également fait exécuter une série de tâches aux jeunes participants afin d'éprouver leur flexibilité cognitive et leur capacité de mémorisation. "En général, nous n’avons constaté aucune différence entre les bambins bilingues et monolingues", indique la Pr. Poulin-Dubois, qui est aussi membre du CRDH. "Toutefois, nous avons observé une variation importante entre les deux groupes aux tâches associant des consignes conflictuelles (conflict inhibition test). De fait, les variations étaient particulièrement apparentes chez les enfants bilingues dont le vocabulaire s’était le plus élargi".

Dans ce cas-ci, les épreuves permettent de mesurer la capacité du sujet à ignorer une consigne bien apprise, à laquelle il porterait normalement attention.

Cristina Crivello, qui effectuait ces travaux de recherche dans le cadre de sa maîtrise, est aussi l’auteure principale de l’étude. Pour évaluer les aptitudes mentales des bambins dans ce domaine, elle a soumis les jeunes sujets à deux tests :
  • Catégorisation inversée. On demandait aux enfants de mettre une série de petits blocs dans un petit panier, et de gros blocs dans un gros panier. Puis, on inversait les consignes – les gros blocs dans le petit panier, et les petits, dans le gros panier.
     
  • Conflit de forme. On montrait aux jeunes participants des images de fruits de différentes tailles et on leur demandait de les nommer. Puis, on leur présentait une nouvelle série d’images où un petit fruit était inséré à l’intérieur d’un gros. On demandait aux bambins de pointer du doigt le petit fruit.
    Sans surprise, les chercheurs ont constaté que les enfants bilingues étaient nettement meilleurs à l’exercice des consignes conflictuelles que leurs homologues monolingues.
 

"L’alternance des langues est à la base de cet avantage sur le plan des tâches conflictuelles, selon Cristina Crivello. Dans ce type d’épreuves, l’enfant doit ignorer certains éléments d’information – comme la taille d’un bloc par rapport à celle d’un panier ou encore, la présence d’un fruit à l’intérieur d’un autre. Cette expérience s’apparente au phénomène d’alternance entre deux langues ou au recours à une langue seconde, même si le mot dans la langue maternelle peut être plus facilement accessible".

L’aspect unique de cette étude est la découverte que plus les tout-petits alternaient souvent entre les deux langues, plus ils en tiraient de bénéfices. En effet, dans le groupe de jeunes sujets bilingues, ceux qui avaient intégré le plus grand nombre de "doublets", c'est-à-dire de mots connus dans les deux langues (comme dog/chien, ou grenouille/frog par exemple), étaient aussi ceux qui surmontaient le mieux les épreuves de consignes conflictuelles.

"Avant la fin de la troisième année de vie, l’enfant bilingue moyen utilise deux mots pour désigner la plupart des concepts dans son vocabulaire. Ainsi, les bambins bilingues acquièrent graduellement plus d’expérience dans l’alternance des langues", conclut la Pr. Poulin-Dubois.

Jean Etienne

Sources principales (Journal of Experimental Child Psychology) :

The effects of bilingual growth on toddlers’ executive function.

Pour approfondir le sujet :

A robust demonstration of the cognate facilitation effect in first-language and second-language naming.

Orthographic processing in balanced bilingual children: Cross-language evidence from cognates and false friends.

 

 

 
Le bilinguisme en Europe. Source : Langues d'Europe et de la Méditerranée.
 

 

 
 
 

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