9 janvier 2016

 

Nomad l'explorateur-robot, retour sur une mission d'exception

 
On en a très peu parlé à l'époque, sinon pas du tout. Pourtant, cette mission scientifique, accomplie par un robot dans une solitude absolue, a largement contribué à la mise au point des sondes martiennes parcourant actuellement la surface de la Planète rouge, et a aussi marqué une étape importante dans des domaines aussi variés que l'intelligence artificielle ou le travail dans les conditions extrêmes.

Robot explorateur entièrement autonome, Nomad (Neurally Organized Mobile Adaptive Device), développé et construit par l'université de Carnegie Mellon, a été déposé le 2 janvier 2000 dans une région de l'Antarctique appelée Moraine de l'Eléphant, avec pour mission de rechercher et d'identifier les météorites pouvant affleurer à la surface de la glace.

Depuis 1979, plus de 2000 météorites avaient alors été découvertes dans les étendues désertes et gelées du continent Antarctique par sept expéditions scientifiques. L'intérêt des échantillons ainsi mis au jour est que, souvent emprisonnés depuis des temps immémoriaux dans une gangue de glace, ils n'ont pas été souillés par la pollution et n'ont subi aucune contamination d'origine terrestre. C'est lors de la fonte de couches superficielles des glaces qu'ils sont généralement découverts et recueillis. L'Antarctique lui-même étant relativement désert et préservé de toute activité humaine, ce sixième continent est considéré comme idéal dans ce cadre de recherche.
 
 

Nomad, le jour de son arrivée. Crédit : Nasa.

Mesurant 2,40 m x 2,40 m sur 2,40 m pour un poids de 550 kg, Nomad était équipé d'un train de quatre roues motrices de 76 cm de diamètre et sa vitesse de croisière atteignait 30 cm par seconde pour une consommation électrique de 2400 watts.

Le système de navigation du robot comportait une plate-forme à inertie, un gyrocompas et un récepteur GPS pilotés par un système informatique embarqué reposant sur un microprocesseur Pentium 133 fonctionnant sous Linux. Une carte des lieux contenue en mémoire était composée de cellules de 50 cm de côté, chacune étant caractérisée par deux nombres, le premier indiquant au robot la possibilité de rouler sur ce point, le second le degré d'incertitude de cette information.

Le pilotage automatique traçait une route au travers des cellules présentant un minimum de risques afin d'éviter les obstacles les plus importants. En cas de blocage par un obstacle imprévu, un module de récupération d'erreur inversait la trajectoire et permettait à l'engin de rebrousser chemin jusqu'à un endroit où une voie de déviation était susceptible de l'engager à nouveau dans la direction de son objectif, en intégrant différents paramètres tels que la rugosité du terrain et l'intérêt scientifique en comparaison du risque éventuel.

D'une importance capitale pour la bonne marche de la mission, le système de vision de Nomad se composait de deux paires de caméras stéréoscopiques couleur Sony disposées à 1,67 mètre au-dessus du sol dans un boîtier climatisé, l'une observant vers la gauche, l'autre vers la droite. L'image était traitée par un ordinateur dédié, construit autour d'un système dual Pentium Pro 200 Mhz fonctionnant sous Windows NT. Afin de réduire le temps de réponse, seul un nombre réduit de lignes étaient examinées par le module stéréo, un logiciel sélectionnant les zones correspondant à des distances de 4,5 à 8,5 mètres devant le robot. Ces données servaient ensuite à l'élaboration d'une carte en trois dimensions utilisée par le module de navigation.

Outre ce système de vision sophistiqué, Nomad était aussi équipé d'une caméra panoramique couleur à 360°, ainsi que de deux caméras noir et blanc en haute résolution, l'une permettant une vue de 24 x 32° à 0,9 mrad par pixel, l'autre de 8 x 11° à 0,3 mrad par pixel.

 
Les yeux du robot vous observent... Crédit : Nasa.
Au cours de ses pérégrinations, Nomad devait trouver les roches affleurantes en les distinguant par leur couleur foncée tranchant sur le fond blanc de la glace. Un logiciel devait alors opérer un classement parmi les objets aperçus et déterminer un ordre d'examen. Ensuite, l'ordinateur devait déterminer si le robot devait atteindre la première cible en roulant, ou s'il lui suffisait d'allonger le bras, en l'occurrence une main artificielle montée sur un support télescopique.

Dès que l'objet serait saisi, il serait placé devant un objectif et un spectrographe entrerait alors en action, procédant à une première analyse au terme de laquelle l'échantillon serait soit rejeté, soit entreposé dans un container pour examen ultérieur en laboratoire. Bien entendu cela n'était que pure théorie en ce 2 janvier 2000, les chercheurs estimant que si Nomad arrivait à ne découvrir ne fût-ce qu'une seule météorite, cela constituerait un précédent remarquable en matière de robotique de pointe.

Il faut dire que les techniciens n'avaient rien fait pour faciliter la tâche du robot. Aucune équipe d'intervention ne l'accompagnait (une équipe de scientifiques était présente mais n'intervenait que pour constater les résultats) et aucune pièce de rechange n'avait été prévue, l'engin étant totalement abandonné à sa solitude glacée durant le mois entier que devait durer l'expérience, qui devait parfaitement simuler une mission spatiale. Seule une toute petite concession avait été consentie: par crainte qu'un échec ne survienne tout simplement parce qu'il n'y aurait rien à trouver aux environs, une météorite déjà découverte quelques semaines auparavant avait été laissée en place à quelques dizaines de mètres du point de départ.

Les techniciens du centre de contrôle, qui ne pilotaient pas l'engin, rappelons-le, mais se contentaient de l'observer à distance, ne durent pas attendre longtemps puisque quatre jours après sa prise d'autonomie, Nomad annonçait la "découverte". A raison de 12 m² explorés quotidiennement en détail, ce concentré d'intelligence artificielle avait atteint son but. Mais l'expérience n'était pas terminée.

Le robot poursuivit infatigablement sa quête tout en transmettant ses coordonnées aux techniciens comme le ferait une sonde planétaire, lorsque soudain, le 22 janvier, fut reçu ce message automatique :

 
" Old target has been updated
" Target 4 is at -61.988968, 672.027832, -1.168753
" Sending a message to navigator to clear morphin map
" New infogains received
" ALERT!! ALERT!!
" I have discovered an interesting rock.
" Target 4 has a meteorite probability of 0.352245
" Waiting for user command to resume the search
" Classifier finished
" In TS_Evaluate Target Stage – evaluating all targets


Et cette fois, aucune préméditation n'avait entraîné l'événement. Parmi les chercheurs, c'était la jubilation. La découverte de cette météorite, de type chondrite et qui fut classée sous le numéro 11331, fut considérée comme un évènement historique. Ce n'était qu'un début.

 

 
Première découverte du 6 janvier et première météorite "naturelle" du 22 janvier. Crédit : Nasa.
 
Le lendemain 23 janvier, Nomad découvrait deux nouvelles météorites dont la deuxième allait cependant être considérée comme "douteuse" par le robot alors qu'il s'agissait bien d'une authentique pierre du ciel, reconnue depuis.

Le 27 janvier, quatre nouveaux échantillons étaient collectés, une chondrite, une achondrite et deux rochers terrestres. Il identifiera également ces deux derniers comme météorites, mais avec cependant un faible taux de confiance.
 
 

 
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Enfin le 30 janvier, Nomad était récupéré et rapatrié dans son laboratoire d'origine de l'université de Carnegie, avec les échantillons collectés. Pour les scientifiques, l'expérience était un succès complet. La mission avait été remplie à 100%, et ouvrait la voie à de nouvelles possibilités et un nouveau champ de recherches dans l'exploration planétaire, et même, pourquoi pas, dans l'exploration d'endroits difficiles d'accès tels les fonds océaniques.

Jean Etienne

 

 
 
Nomad à pied d'oeuvre. Crédit : Nasa.
 
 
 

 
Mission accomplie, retour à Carnegie Mellon ! Crédit : Nasa.
 

 

 
 
 

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