11 février 2016

 

Les singes, conquérants de l'Infini

 
Non, l'Espace n'a pas été conquis par l'Homme. Et bien que sa présence en orbite soit aujourd'hui devenue permanente, il a quelque oublié les véritables conquérants, à quatre pattes - ou à quatre mains - qui l'y ont précédé, quelquefois de façon épique.

Nous allons en (re)découvrir quelques-uns.

Histoire d'une pomme

Débutons par cette petite anecdote, absolument authentique, mêlant hommes et animaux...

Ham, chimpanzé de son état, fut le dernier animal à prendre la route de l'espace avant l'Homme. Capturé au Cameroun en 1956, il avait d'abord été nommé Chang. Mais ce nom ne fut pas jugé suffisamment américain et les responsables du projet décidèrent de l'appeler simplement... chimpanzé 65. Las, cela ne plut évidemment pas à la presse en besoin de vedettariat, même simiesque. Aussi fut-il désigné très officieusement par HAM, initiales de Holloman Aerospace Medical Center, le laboratoire où il était entraîné. Le 31 janvier 1961, une fusée Redstone de la Nasa l'envoya dans l'Espace pour un simple bond suborbital qui s'accomplit avec succès. Après son amerrissage dans les eaux du Pacifique, il reçut un cadeau inestimable de la part des techniciens chargés de la récupération : une pomme !

Quatre mois plus tard, Alan Shepard, le premier Américain à prendre la route de l'espace, se plaindra à son retour de ne pas avoir eu droit à cette pomme mythique...

Quarante années jour pour jour après Shepard, une autre grande première se réalise et Dennis Tito, le premier touriste payant sur orbite, revient sur Terre. Un Américain lui aussi, mais voyageant à bord d'un vaisseau russe. S'agit-il d'un pied-de-nez de la part de l'agence spatiale russe à l'encontre de son homologue d'outre-Atlantique, en représailles de diverses tracasseries administrativo-politiques qui ont émaillé ce vol ? Toujours est-il que le premier geste des techniciens après la sortie de Tito fut de lui offrir... une pomme !
 

 

 
Ham, Tito et les pommes. Crédit : Nasa.
 
Ham est mort à l'âge de 26 ans, en janvier 1983 au Zoo de Caroline du Nord à Asheboro. Il est aujourd'hui enterré devant le Musée de l’histoire spatiale du Nouveau-Mexique à Alamogordo. Nous rappelons ici avec une certaine nostalgie les péripéties et la petite histoire de la conquête de l'espace par... l'animal !

Au commencement était le singe

Tout commença le 17 décembre 1958, jour commémoratif de l'exploit des frères Wright ; les Américains étaient alors prêts à prendre le chemin de l'espace. Le programme spatial fut d'abord baptisé "projet astronaute", mais on jugea que ce serait trop mettre l'accent sur l'Homme et finalement, on l'appela "projet Mercury". Car les savants avaient décidé que dans le cadre de l'entreprise, des animaux ouvriraient la voie aux humains...

Alors que les Soviétiques choisissaient presque toujours des chiens pour tester le comportement d'un organisme dans l'espace, les Américains sélectionnèrent des singes, des chimpanzés, des porcs, des chats, des rats, des souris, des lapins, des hamsters et même des oeufs d'esturgeons, mais jamais des chiens, car ils sont le meilleur ami de l'homme.

Pourquoi les Soviétiques utilisaient-ils des chiens, et jamais des singes ?

On s'est longtemps posé la question. Avant l'effondrement du bloc soviétique, les observateurs pensaient que c'était simplement dû au fait qu'il n'y avait pas de singes sur le territoire de l'URSS. Pourtant, les singes employés par les Américains provenaient majoritairement des forêts africaines...

La véritable raison fut découverte bien plus tard, lorsque les archives purent être consultées par les historiens occidentaux. Les Russes avaient bien conduit des expériences sur des singes, mais avaient remarqué que ces animaux, dont les facultés de raisonnement étaient supérieures à celles de chiens, stressaient plus volontiers, ce qui exigeait l'utilisation de calmants. Ils choisirent donc les chiens afin que les résultats des expériences ne soient pas faussés par une quelconque médication.

Déjà vers la fin des années 1950, des singes avaient été placés en centrifugeuse et soumis à des forces de l'ordre de 40 fois la pesanteur terrestre. Lors de la conception de la cabine monoplace Mercury, des combinaisons spatiales furent taillées sur mesure pour... des porcs, le tout, cabine, combinaison et animal étant projeté au sol pour voir si un vertébré pouvait survivre à un impact de 58 g (58 fois son propre poids) pendant une fraction de seconde. Ce furent donc des porcs qui, les premiers, revêtirent une combinaison spatiale ! L'expérience fut entièrement concluante.

Able et Baker, les conquérants

En 1958, les techniciens de la toute jeune NASA préparèrent l'envoi dans l'espace, pour un vol balistique de courte durée, de deux singes, un macaque appelé Able, né en Amérique du Nord, et un singe-écureuil sud-américain nommé Baker (rien à voir avec Joséphine...). Ils devaient partager la même capsule lors d'un voyage de 2400 km au-dessus de l'Atlantique, à 480 km d'altitude et à une vitesse de 16.000 km/heure.

 

Le singe-écureuil Baker (crédit Nasa)

Les préparatifs devaient s'accomplir dans le plus grand secret. Tous les spécialistes en fusées, amenés de Huntsville en avion spécial pour contrôler le missile, furent logés dans des bâtiments de l'armée afin que leurs noms ne figurent pas dans les registres d'hôtel et ainsi, ne puissent éveiller l'attention des journalistes. On oublia malencontreusement de prévenir les médecins de ces dispositions, et ils descendirent dans un motel de l'endroit. Des bruits se répandirent comme une traînée de poudre, disant que des médecins de la NASA se trouvaient à la base et qu'un homme prendrait place dans le missile. Il fallut donc bien reconnaître que l'expérience serait faite avec des singes, mais les journalistes furent priés de ne pas divulguer le renseignement avant l'envol...

Le vol balistique se déroula sans incident. La capsule Mercury devait amerrir dans l'Atlantique. Après l'heure prévue, l'équipe de Cap Canaveral envoya un message au navire chargé de la récupération afin de savoir si les singes étaient en vie, mais ne put contacter le bateau. Il se faisait de plus en plus tard, la mission était terminée depuis longtemps, les journalistes s'impatientaient. A 5 heures 30 du matin, le Président des Etats-Unis en personne tenta de s'enquérir. Sans résultat, et pour cause : on était sans nouvelles. Le Général Yates, commandant de la base, essaya en vain de lancer un appel au navire. En désespoir de cause, l'équipe renonça au code secret de rigueur jusque-là dans toutes les communications et diffusa un message en clair au vaisseau. La question fut envoyée : "Les singes sont-ils en vie ?" Après une longue demi-heure arriva la réponse : "OUI, OUI". Point à la ligne. Et il n'y avait pas d'autre ligne. Cruel problème: comment interpréter ce message ?

Un responsable proposa : puisqu'il y a deux "oui", c'est que les deux singes sont vivants. Objection d'un autre responsable : "oui mais, s'il n'y a qu'un seul survivant, que se passera-t-il si nous déclarons qu'ils sont tous deux vivants alors qu'un est mort ?" On lui répondit : "dans ce cas, nous expliquerons que cette fichue bête est morte après réception du message !"

On déclara les deux singes vivants. Deux heures après, on en était vraiment sûr...

Le singe-écureuil Baker fut récupéré par la Marine et examiné, ainsi que sa progéniture, durant plusieurs générations, sans conséquences négatives. Le singe Rhésus de l'armée, Able, fut envoyé à Fort Knox où un chirurgien lui ôta les appareils chargés d'enregistrer ses réactions durant le vol. Un médecin militaire de l'équipe déclara alors : "c'est tout ce qu'il avait à faire..." Et il tua le singe.

Aujourd'hui, le pauvre animal est empaillé et son regard immobile fixe les visiteurs du Smithsonian Institute, à Washington. De mauvaises langues prétendent que juste à côté, un socle encore inutilisé porte anticipativement le nom du médecin qui avait achevé l'animal...

Sam, Miss Sam et puis... HAM !

Deux autres singes Rhésus, Sam et Miss Sam, prirent la route de l'espace fin 1959 et début 1960. Ils survécurent tous deux et permirent de mieux comprendre comment se comportait un organisme évolué dans le cosmos. Mais le héros de la ménagerie expérimentale des Etats-Unis fut sans contestation possible Chang, ou plutôt Ham. Chimpanzé de son état, il était dressé à répondre à l'allumage de différentes lampes en actionnant des manettes. Si c'était correct, il recevait un morceau de banane, sinon, un faible courant électrique lui chatouillait la plante des pieds.

Le 31 janvier 1961, Ham prit donc place à bord d'une cabine Mercury, revêtu d'une combinaison spatiale confectionnée à ses mesures. Le long de la trajectoire balistique étaient répartis 8 bâtiments de Marine, des escadres entières de navires de sauvetage, des hélicoptères et avions de reconnaissance. Avec 4 heures de retard, la fusée Redstone le lança dans l'espace pour un vol suborbital. Ce fut très inconfortable pour Ham. Il amerrit à 240 km du navire de récupération, complètement seul dans l'Atlantique. Lorsque les premiers hélicoptères arrivèrent enfin sur les lieux, les techniciens constatèrent que la cabine était couchée sur le flanc et avait pris 400 litres d'eau ! Heureusement, Ham était sain et sauf.

Enos, premier singe en orbite

Un autre singe ouvrit la voie à John Glenn, le premier Américain à être placé sur orbite. Provenant lui aussi du Cameroun et élevé à Miami, le chimpanzé Enos (mot dérivé du grec et de l'hébreu signifiant "homme") avait subi un entraînement particulièrement intensif avec certains de ses congénères, car il s'agissait à présent de réaliser une mise en orbite et non un simple vol balistique. Ce n'est que trois jours avant le lancement qu'Enos fut choisi, essentiellement en raison de son intelligence supérieure.

 

Enos en préparation pour son vol.
Crédit Nasa.

La mission prévoyait trois révolutions autour de la Terre.  Le 29 novembre 1961, il fut installé à bord de la capsule Mercury juchée au sommet d'une fusée Atlas et le lancement fut parfait. Mais les ennuis survinrent rapidement. Une des petites fusées de contrôle d'attitude tomba en panne. Le pilote automatique consomma trop de carburant pour essayer de stabiliser la cabine. Puis le système de leviers s'enraya : chaque fois qu'Enos répondait correctement aux tests, le morceau de banane attendu était remplacé par une décharge électrique ! Finalement, Enos entra dans une colère presque humaine et entreprit la démolition systématique de l'intérieur du vaisseau ! On dut le faire amerrir en catastrophe au bout de la deuxième orbite ; il fut emmené aux Bahamas, puis à Patrick Air Force Base, non loin de Cap Canaveral. Il était toujours aussi furieux, et le doux animal qu'il était auparavant dut être transporté dans une cage.

Il ne s'en remit jamais. Toujours aussi agressif, atteint d'hypertension chronique, il ne devait jamais plus quitter sa cage... Sauf anesthésie !

Enos est finalement décédé le 4 novembre 1962 d'une dysenterie due à une shigellose, maladie résistante aux antibiotiques dont on disposait à l'époque. Et ses "malheurs" ne s'arrêtent pas là, puisqu'aujourd'hui, plus personne, absolument plus personne, ne se souvient... de l'endroit où il a été enterré !

Ceci n'est pas un singe

Le 20 février 1962, l'astronaute John Glenn prenait le départ depuis Cap Canaveral pour trois orbites autour de la Terre (non, il n'a jamais été question de six orbites, contrairement à ce qu'on lit quelquefois...), suivant ainsi la voie ouverte trois mois plus tôt par son collègue simiesque. La mission fut couronnée de succès et Glenn devint l'homme le plus célèbre des Etats-Unis. Il fut cependant humilié lorsque, quelques jours plus tard, il rencontra officiellement le Président Kennedy dont la fille Caroline (4 ans), eut pour premières paroles : "mais où est le singe ?".

Pour aussi folkloriques que ces expériences aient pu paraître à l'époque, il ne faut pas perdre de vue qu'elles ont conduit à l'aboutissement actuel et au degré de perfection auquel nous sommes maintenant habitués. Ces animaux, ces singes en particulier, mériteraient la plus haute distinction parmi celles réservées aux humains qui, à présent, les ont complètement oubliés.

Jean Etienne

 

 

 

 

 
 
 

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