12 février 2016

 

Première observation directe d'ondes gravitationnelles

 
Prédites par Einstein en 1906, démontrées expérimentalement par Russell Hulse et Joseph Taylor en 1974, les ondes gravitationnelles constituent, avec le boson de Higgs récemment découvert, le Saint Graal de la physique. Aussi, cette première observation directe constitue-t-elle un des évènements majeurs de ce siècle.

Qu'est-ce qu'une onde gravitationnelle ?

Les ondes gravitationnelles sont partout, on peut même dire que nous en sommes envahis. Elles sont théoriquement émises par tout objet qui se déplace par rapport à l'espace, en fonction de sa masse. Pourtant, nous ne les percevons pas, sinon, comme cela vient d'être réalisé, au prix d'immenses difficultés.

Une comparaison s'impose avec les ondes que l'on peut qualifier de "conventionnelles", telles les ondes électromagnétiques. Celles-ci nous sont familières sous la forme d'ondes radio, rayonnements X, gamma, ainsi que la lumière. Leur intensité est telle que nous pouvons les percevoir sans aucune difficulté, au moyen de nos sens ou d'un appareillage sommaire. Il est néanmoins possible d'y faire obstacle sans difficulté (simple carton, blindage…).

Les ondes gravitationnelles, au contraire, sont constituées par une déformation de l'espace-temps provoquée par un évènement que l'on pourrait qualifier de cataclysmique, tel la collision de deux trous noirs. Mais deux différences essentielles les distinguent des ondes électromagnétiques : rien ne peut leur faire obstacle, et leur intensité est extraordinairement faible.

Comment observer un morceau d'atome ?

Deux comparaisons suffiront pour illustrer l'intensité des ondes gravitationnelles.

Premier exemple
Considérons une météorite, ou un petit astéroïde, de 1 kilomètre de diamètre. Soit une masse de quelques milliards de tonnes (je laisserai ce calcul aux astrophysiciens…). Bref, cet objet s'écrase sur Terre et libère une énergie considérable. Vu ? Maintenant, considérons 50 milliards de météorites identiques, s'écrasant simultanément sur Terre. Cet évènement, que plus aucun humain ne pourra décrire, dégagera un flux d'ondes gravitationnelles dont la puissance suffira tout juste à allumer une ampoule électrique.

Second exemple
Deux trous noirs de vingt masses solaires entrent en collision à 1 million d'années-lumière de notre Terre. Là aussi, une onde gravitationnelle est générée, bien plus puissante que dans le cas précédent. Lorsque celle-ci arrive à notre hauteur, elle provoque une déformation de l'espace et donc de notre globe, dont la valeur est estimée à 1-13 mètre, soit approximativement la dixième partie du diamètre d'un atome d'hydrogène.

Comment passer de la théorie à l'observation

Et c'est là que réside la principale difficulté liée à leur observation directe. Si Einstein les avait bien prédites par la théorie, l'existence des ondes gravitationnelles avait été démontrée par les astrophysiciens Russell A. Hulse et Joseph H. Taylor Jr par l'observation du pulsar binaire répondant au doux nom de PSR B1913+16, qu'ils avaient eux-mêmes découvert en 1974.
 
Si cet objet double est le premier de sa catégorie jamais découvert, il est aussi l'un des plus étudiés. En effet, les deux astres composant ce système orbitent l'un autour de l'autre dans un volume qui pourrait prendre place à l'intérieur de notre Soleil, cela dans une période inférieure à 8 heures. La régularité des signaux émis par le système permet d'en déterminer les caractéristiques orbitales avec une précision impressionnante, au point qu'il a été permis de démontrer une infime accélération de la vitesse de révolution des deux astres.

Or, cette accélération, qui signe une diminution progressive de la distance séparant les deux composantes du système, correspond exactement à la perte d'énergie conséquente à l'émission d'ondes gravitationnelles prédite par la théorie de la relativité générale selon Einstein. Cette observation, qui confirmait indirectement l'existence d'ondes gravitationnelles, a valu aux deux chercheurs l'attribution du Prix Nobel de Physique en 1993.

La détection

Ces ondes gravitationnelles ont été détectées le 14 septembre 2015, à 09 heures 51 minutes TU, par les deux détecteurs interférométriques jumeaux de LIGO (Laser Interferometer Gravitational-wave Observatory) situés à Livingston (Louisiane), et Hanford, (Etat de Washington), conçus et construits par Caltech et le MIT, qui assurent leur fonctionnement. Elles ont été émises par la collision de deux trous noirs situés à 1,3 milliards d'années-lumière, dont les masses étaient de 29 et 36 fois celles de notre Soleil.

Selon la théorie de la relativité générale, un couple de trous noirs en orbite l'un autour de l'autre perd de l'énergie sous forme d'ondes gravitationnelles. Les deux astres se rapprochent lentement, un phénomène qui peut durer des milliards d'années avant de s'accélérer brusquement. En une fraction de seconde, les deux trous noirs entrent alors en collision à une vitesse de l'ordre de la moitié de celle de la lumière et fusionnent en un trou noir unique. Celui-ci est soudain plus léger que la somme des deux trous noirs initiaux, car une partie de leur masse (ici, l'équivalent de 3 soleils, soit une énergie colossale) s'est convertie en une fraction de seconde en ondes gravitationnelles selon la célèbre formule d'Einstein E=mc2. C'est cette bouffée d'ondes gravitationnelles que les collaborations LIGO et Virgo ont observée. Selon les estimations des chercheurs, à l'instant de leur émission, ces ondes étaient dix fois plus puissantes que l'ensemble des radiations émises sous forme de lumière par la totalité des étoiles et des galaxies composant l'Univers.

La comparaison des temps d'arrivée des ondes gravitationnelles dans les deux détecteurs (7 millisecondes d'écart) et l'étude des caractéristiques des signaux mesurés par les collaborations LIGO et Virgo ont montré que la source de ces ondes gravitationnelles était probablement située dans l'hémisphère sud.

Une nouvelle fenêtre sur l'Univers

Cette première observation d'ondes gravitationnelles ouvre la voie à une nouvelle méthode d'observation de l'Univers, totalement différente de celles que nous connaissions sur la base des radiations électromagnétiques (lumineuses, radio, gamma et X), dont nous ne pouvons encore que difficilement évaluer l'impact sur nos connaissances.

Peut-être la véritable astronomie vient-elle de naïtre.

Jean Etienne

 
 

 
L’événement GW150914 observé par les détecteurs LIGO de Hanford (H1, à gauche) et Livingston (L1, à droite). Ces deux images montrent comment le signal d’ ondes gravitationnel les (voir ci -dessous) enregistré dans chaque détecteur a évolué en foncti on du temps (axes horizontaux gradués en seconde) et de la fréquence (en hertz, ou nombre de cycles de l’onde par seconde). Ils montrent que la fréquence du signal augmente rapidement, de 35 Hz à environ 150 Hz en à peine deux dixièmes de seconde. GW150914 est arrivé d’abord à L1 puis environ sept millièmes de seconde pl us tard à H1 – une durée compatible avec le temps mis par la lumière, ou une onde gravitationnelle, pour aller d’un détecteur à l’autre.
 
 
 

 
Description simplifiée du détecteur interférométrique LIGO.
 
 
 

 
LIGO Hanford Observatory. Crédit : Caltech/MIT/LIGO Laboratory.
 

 

 
 
 

Retour

Commentez cet article dans le forum