18 février 2016

 

Révélations sur la structure des mers d'hydrocarbures de Titan

 
Le plus important satellite de Saturne, Titan, possède de nombreuses caractéristiques qui en font un objet unique. Parmi celles-ci, la présence de lacs a été détectée dès 2007 grâce au radar de la sonde Cassini.

Ces étendues liquides participent au cycle « hydrologique » du méthane. En effet, la température à la surface de ce satellite, voisine de -183°C, implique une « hydrologie » et une géologie très exotiques. Ainsi, la « croûte » titanienne est sans doute majoritairement composée de glace d'eau, sur laquelle on doit rencontrer des dépôts de matières organiques plus ou moins solubles dans le méthane et l'éthane liquides.

En 2011, des observations infrarouges et radar ont permis de mettre en évidence l'existence de dépôts évaporitiques. Localisés dans le lit de lacs asséchés ou en cours d'asséchement, ces dépôts devraient avoir une composition variée, et c'est précisément ce qui vient d'être montré par une collaboration internationale, menées par un chercheur du laboratoire du Groupe de spectrométrie moléculaire et atmosphérique, GSMA (CNRS/Université de Reims Champagne-Ardenne). Les simulations numériques réalisées par cette équipe indiquent que les bords de ces dépôts pourraient être formés de cyanure d'hydrogène, de dioxyde de carbone, de benzène… tous à l'état solide et bien différents du carbonate de calcium et du chlorure de sodium, dont on est familier sur Terre.

La géologie de Titan est dominée par la glace d'eau, à laquelle s'ajoutent en surface des matériaux organiques. En effet, son atmosphère, aussi dense que celle de la Terre, composée principalement d'azote et de méthane, produit de nombreuses espèces carbonées ou azotées. Les observations faites avec les instruments à bord de Cassini et les modèles d'atmosphère, incluant la photochimie, nous renseignent sur la nature de ces composés. Certains, rencontrant les conditions thermodynamiques de leur condensation, précipitent à la surface de Titan sous forme liquide (c'est le cas de l'éthane) ou solide (comme pour le benzène ou le butane).

A ceci s'ajoute un cycle « hydrologique » du méthane dans la troposphère de Titan : des périodes d'averses de méthane, conduisant au remplissage des lacs, sont suivies par des périodes plus sèches pendant lesquelles une évaporation significative peut avoir lieu. Durant celle-ci, les espèces organiques dissoutes peuvent atteindre la saturation et précipiter sur le fond du lac. C'est ce scénario qui est schématisé sur la figure 1 ci-dessous. Des simulations numériques ont donc permis d'explorer la composition et la structure de ces dépôts.

Les recherches menées sont largement pluridisciplinaires : les calculs réalisés reposent sur la théorie « PC-SAFT 1» très utilisée en ingénierie chimique ; de plus des modèles quantiques ont permis de préciser les propriétés des solides organiques impliqués. Les résultats obtenus indiquent l'existence d'une zone centrale (en gris-bleu sur la figure 1.c) riche en acétylène et en butane. Le retrait du liquide, au cours du processus d'évaporation, laisse apparaître des « anneaux » plus ou moins concentriques, que les anglophones appellent de façon imagée « bathtub rings ». Ces anneaux (zones marrons et kakis sur les figures 1.b et 1.c) se divisent en deux ou trois zones dont l'une est dominée par du cyanure d'hydrogène (HCN), molécule toxique produite en grande quantité par l'atmosphère de Titan. Suivant le scénario retenu, le ou les autres « anneaux » peuvent contenir différentes quantités de dioxyde de carbone, de benzène ou d'acétonitrile (CH3CN). L'épaisseur des dépôts évaporitiques ne devrait pas excéder quelques millimètres si l'évaporation d'une colonne initiale de 100 mètres de liquide en est à l'origine. Cependant, la répétition annuelle, au cours de l'histoire de Titan, de cycles de précipitation/évaporation a pu conduite à des épaisseurs beaucoup plus importantes.

Globalement, les résultats des simulations sont en accord avec ce qui est observé avec les instruments de Cassini. En outre, le grand pouvoir solvant trouvé pour l'éthane liquide peut expliquer l'absence d'évaporites dans la région du lac Ontario, situé dans la zone polaire sud de Titan. Finalement, le radar montre une surface, des parties centrales des dépôts, très brillantes aux longueurs d'onde centimétriques. Ce fait intrigant peut être expliqué par l'existence de deux phases cristallines, comme suggéré par les simulations montrant les présences concomitantes de butane et d'acétylène solide.

Bien que les modèles actuels puissent encore être améliorés, en particulier en réalisant des expériences de laboratoire portant sur la dissolution des molécules azotées, l'exploration in situ reste le moyen ultime d'en découvrir plus. Plusieurs concepts de mission ont été proposés ces dernières années, le dernier en date consistait en un sous-marin dédié à l'exploration des lacs d'hydrocarbures. Une possibilité plus intéressante, mais plus coûteuse, serait offerte par un rover amphibie débutant sa mission par l'analyse des plages d'évaporites, et la poursuivant ensuite dans le liquide d'une formation lacustre partiellement remplie.

Source principale :

Structure of Titan's evaporites. Cornell University Library, par D. Cordier, T ; Cornet, J. W. Barnes, S. M. MacKenzie, T. Le Bahers, D. Nna-Mvondo, P. Rannou, A. Ferreira, Icarus, 2016. (CP).

>>>  La mission Cassini-Huygens sur le site de la Nasa.
>>>  La mission Cassini-Huygens sur le site de l'Esa.

 

 

 
Vue d'artiste représentant la formation de dépôts évaporitiques à la surface de Titan.
(a) La dépression servant de lit est remplie de méthane liquide.
(b) le méthane s'est partiellement évaporé, laissant apparaître sur les bords deux types d'évaporite.
(c) le liquide s'est totalement évaporé, sur cet exemple les trois zones de couleurs différentes correspondent à trois types d'évaporites (éventuellement composés d'un mélange de plusieurs espèces organiques).
Crédits : Daniel Cordier.
 

 

 
 
 

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