5 avril 2016

 

Un scientifique payé par Total pour publier de fausses informations

 
Peut-on honnêtement être à la fois conseiller médical du groupe pétrolier Total, suivre l'état de santé de ses dirigeants, et publier dans les médias des articles minimisant les effets sur la santé du diesel, contredisant ainsi les conclusions des principales études médicales ? Bien sûr que non, surtout si l'on est spécialement rémunéré pour cela. Et c'est pourtant ce qui s'est produit… durant plus de 25 années !

Michel Aubier, chercheur spécialisé dans les maladies respiratoires à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et spécialiste de l’asthme à l’Hôpital Bichat-Claude Bernard, a déclaré sous serment en avril 2015 à un comité d'enquête du Sénat français que le lien entre la pollution de l'air incluant les particules diesel et le cancer du poumon était très faible et controversé. Il a aussi affirmé, toujours sous serment, qu'il n'avait aucun lien avec les acteurs économiques impliqués dans ce problème.
 
Cependant, le masque tombe brusquement en début de ce mois, lorsque les médias français Libération, Le Canard Enchaîné et Le Monde révèlent, preuves à l'appui, qu'Aubier était rémunéré par l'entreprise Total en qualité de conseiller médical, à hauteur de 50 à 60.000 euros par année depuis… 1990 ! Ainsi accusé de parjure, le scientifique s'expose ainsi à une peine de prison et à une lourde amende à l'issue d'un procès.

Aubier a été rémunéré pour minimiser le lien entre le cancer du poumon et les émissions des moteurs diesel

La loi française prévoit une peine pouvant aller jusqu'à 5 années de prison et 75.000 euros d'amende pour un faux témoignage, mais cette sentence peut aller jusqu'à 7 années de prison et 100.000 euros si ce témoignage a été appuyé par une rémunération, ce qui est nettement le cas ici. En avril 2015, Aubier affirmait devant le Sénat que la pollution de l'air provoquait l’asthme, la bronchite chronique et aiguë, mais soutenait que l’impact de la pollution de l’air sur le cancer du poumon était très faible et controversé, ce que contredisaient toutes les études "sérieuses" publiées dans les revues spécialisées.

Depuis 1988, le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer), qui fait partie de l'OMS, considérait déjà les particules émises par les moteurs diesel comme probablement cancérigènes, un effet définitivement confirmé en 2012.

Un groupe d’hôpitaux publics, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), s’est distancié rapidement avec les actions d’Aubier. Le groupe a déclaré qu’il ignorait qu’Aubier travaillait pour Total avant l’audition du Sénat. Pour le moment, le Sénat enquête pour confirmer les révélations des médias et son bureau va décider si l’affaire doit faire l’objet d’un procès. Leila Aïchi, rapporteuse de la commission, a déclaré que les arguments d’Aubier sont une insulte pour le travail des sénateurs.

Un cas qui ne serait pas isolé

L'exemple de Michel Aubier ne serait cependant pas un cas isolé, loin de là, déplore Martin Hirsch, directeur général des Hôpitaux de Paris, qui déclare : "Cela fait des années que dans le secteur de la santé, il y a des conflits d’intérêt dont certains ont provoqué des morts. Je pense notamment au Mediator". Auditionné lui aussi par le sénat, Martin Hirsch explique avoir mentionné la nécessité "d’une évolution législative et réglementaire" sur les conflits d’intérêts dans le domaine de la santé.

Jean Etienne

 

 

 
Michel Aubier (capture d'écran France 5).
 

 

 
 
 

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