10 octobre 2016

 

La Terre produit bien plus de nourriture que ses habitants peuvent en consommer… est-ce bien sérieux ?

 
On nous le répète à l'envi. Alors que la population terrestre approche les 7,5 milliards d'habitants, nous produisons suffisamment de nourriture pour alimenter plus de 12 milliards de personnes (chiffre pouvant varier selon les sources et estimations). Mais cette information est-elle fiable, et comment a-t-elle été obtenue ?

Une telle interrogation est loin d'être anodine. Car de la réponse découle une question cruciale : devrons-nous dans le futur augmenter la production agricole au niveau planétaire, et comment devrons-nous y prendre ?

Actuellement, la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations, ou organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) estime que les besoins alimentaires actuels sont de 2353 kilocalories par personne et par jour, alors que la production alimentaire mondiale représente 2860 kilocalories par personne et par jour. Un chiffre qui fait évidemment bondir plus d'une organisation charismatique, en démontrant que si la faim persiste encore dans le monde, elle est avant tout provoquée par le gaspillage des denrées alimentaires et non par un manque de production. Ce qui n'est pas faux, du moins actuellement.
 
 
 
Cependant ces statistiques dressent le portrait d'un instant déterminé, donc figé. Pourtant la réalité est tout autre, et les conditions de vie ne cessent d'évoluer, que nous le voulions on non. En effet, la plupart des prévisionnistes estiment que la population mondiale approchera les 9,7 milliards d'ici l'an 2050, tandis que les nutritionnistes prévoient que les besoins de calories par jour et par personne augmenteront en raison de l'augmentation de l'âge moyen de la population, considérant le fait que les enfants consomment moins de calories que les adultes. Or, les chiffres sont sans appel. Si la production alimentaire globale actuelle est conservée, les terriens de l'an 2050 ne disposeront plus que de 2153 kilocalories par jour et par personne, une quantité nettement insuffisante.

Patrick Meyfroidt, du Earth and Life Institute, Georges Lemaître Centre for Earth and Climate Research (Université Catholique de Louvain – UCL, Belgique), lance un cri d'alarme en indiquant qu'il serait alors nécessaire d'augmenter la production agricole à l'échelle planétaire de 40 à 50 %. Et le pire, dans cette projection, c'est que la FAO a tenu compte d'un nombre de 400 à 500 millions de personnes qui souffriraient malgré tout de malnutrition à cette échéance.

Plusieurs scénarii évoqués

De nombreuses solutions à ce problème existent. Ainsi l'hypothèse selon laquelle si nous devenions tous végétariens, il serait parfaitement possible d’arriver à rencontrer les besoins en calories sans impact grave sur l’environnement. Dans ce scénario, on aurait besoin d'extraire 6,7 millions de tonnes de biomasse sèche des terres agricoles, tandis que dans celui où nous consommons un régime alimentaire très riche avec beaucoup de viande, la production devrait atteindre 19,9 millions de tonnes, soit trois fois plus. Cependant, ce scénario se base sur une utopie, car jamais l'espèce humaine ne se convertira au végétarisme, et c'est peut-être mieux ainsi…

A contrario et dans le scénario d'une alimentation riche, il sera donc nécessaire d'augmenter très significativement ma part des surfaces cultivables au détriment des espaces sauvages, sinon d'augmenter les rendements encore plus rapidement que prévu. Un espoir subsiste pourtant, même s'il ne représente pas une solution complète. Car selon la FAO, l'augmentation continue de la consommation de viande devrait ralentir d'elle-même, car les populations asiatiques, chinoises surtout, qui ont commencé à manger de la viande il y a quelques années, maintiendront leur consommation sans l’augmenter fortement.

D'autres études se basent encore sur une corrélation existant entre les revenus et la consommation de viande, qui indiquent quant à elles que l'accroissement de production de 40 à 50 % prévu par la FAO se situerait plutôt dans le bas de la fourchette, présageant une hausse de la demande en cas de rétablissement économique. Optimistes s'abstenir...

En tout état de cause, tous les scientifiques et autres prévisionnistes abondent à affirmer que si nous continuons à consommer de la viande au rythme actuel, les producteurs devront adopter des procédés de plus en plus intensifs avec de moins en moins de pâturages et plus de cultures. "Si nous devions réaliser la production de viandes selon les prévisions de la FAO en plein air, l’espace finirait rapidement par manquer", annonce Patrick Meyfroidt. "Ceci se ferait au détriment des forêts. Entre 2000 et 2012 le bilan net de la déforestation est de 12,5 millions d’hectares de forêts par an. L’autre solution est de produire plus à l’hectare avec des moyens les plus écologiques possible. Sur le plan socio-économique, il faudra trouver une bonne balance et des prix suffisamment élevés pour rémunérer correctement les agriculteurs et des prix abordables. Il ne faut pas oublier que nous voyons de plus en plus des populations pauvres en zone urbaine directement touchées par des prix trop importants", ajoute le chercheur.

La seule conclusion qui s'impose est celle-ci : la production agricole devra obligatoirement augmenter à l'horizon 2050, peut-être même avant, car les solutions ne pourront être mises en place du jour au lendemain. Et actuellement, personne ne sait comment y arriver.

Jean Etienne

Sources multiples, dont :

Exploring the biophysical option space for feeding the world without deforestation (Nature Communications 7, Article number : 11382)
 

 
 

 

 
 
 

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