9 septembte 2016

 

Biodiversité : des nouvelles espèces par millions !

 
Combien d'espèces peuplent notre planète ? Une question dont la réponse apparaît d'autant plus urgente que la biodiversité, mise à mal par les activités humaines, disparaît à une vitesse grandissante. Des espèces s'éteignent avant même leur découverte…

A ce jour, les scientifiques ont dénombré environ 2 millions d'espèces. Mais tous s'accordent sur un point : cela ne représente qu'une partie du total, dont l'estimation paraît surréaliste puisqu'elle s'étend dans une fourchette de 3 à 100 millions d'espèces. Et encore ne tient-on pas compte des bactéries, trop compliquées à dénombrer…).

Plus prosaïquement, une étude récente propose un chiffre précis de 8,7 millions d'espèces. Si c'est bien le cas, on aurait réussi, à ce jour, à recenser environ 20% de la biodiversité, ce qui montre qu'il y a encore pas mal de travail à faire… Cependant, dans une correspondance parue dans la revue Nature, il est estimé que ce consensus sous-évalue la biodiversité terrestre d’un facteur dix. Auquel cas, la tâche de décrire et de comprendre la biodiversité s’avère plus herculéenne qu’on n’aurait jamais pu l’imaginer. Et depuis 300 ans que le naturaliste suédois Carolus Linnaeus s’est illustré comme pionnier en matière de classification scientifique, nous pourrions avoir désigné seulement 2 % de la biodiversité terrestre.

Méfiez-vous des apparences…

Les espèces constituent l’une des unités fondamentales de la biodiversité. Chaque unité représente une lignée évolutive indépendante et un patrimoine génétique irremplaçable.

Par exemple, le chien domestique, Canis lupus, est d’une espèce différente de celle du chacal doré, Canis aureas, parce que les deux groupes ne se reproduisent pas entre eux, pas plus qu’ils n’échangent de gènes. Pourtant les épagneuls et les dalmatiens proviennent tout simplement de races différentes d’une même espèce, celle du Canis lupus, et peuvent volontiers s’accoupler et générer des bâtards.

Il est difficile, parfois, de distinguer des espèces différentes. Cas extrême : les espèces cryptiques. Extérieurement, elles sont semblables, mais elles ne se reproduisent jamais entre elles. Leurs patrimoines génétiques particuliers évolue dans des directions indépendantes. Il s'agit alors, à proprement parler, d' "espèces en voie d'apparition".

Ainsi, le gecko australien. Les récentes études sur son ADN révèlent que ce qui passait, au vu de sa taxonomie, pour une espèce unique, inclut au moins dix espèces cryptiques, chacune se cantonnant sur un petit territoire, et ne s'accouplant jamais entre elles au moins depuis une dizaine de millions d'années. En fait, ces espèces cryptiques de geckos australiens ont bien plus de différences génétiques entre elles qu'entre les humains et les chimpanzés.
 
 
 
Gecko australien. Un aspect, dix espèces. Crédit : Université d'Adélaïde.
 
Et ce n'est pas tout, cas des espèces cryptiques ont été identifiées chez plusieurs animaux marins, comme entre autres les baleines à bec ou les requins-marteaux. Sur la terre ferme, les chercheurs viennent tout juste de réaliser que les éléphants africains ne proviennent probablement pas d’une seule espèce, mais bien de deux espèces cryptiques : un éléphant du bush (de la savane) et un éléphant de la forêt, tandis que les girafes d'Afrique se révèlent divisées en au moins 11 espèces cryptiques très différenciées sur la base de leur ADN.

Un travail de titan

Différentier les espèces cryptiques, qui sont bel et bien des espèces à part entière, se révèle une tâche donnant le tournis à n'importe quel biologiste. Car l'immense majorité du vivant n'est pas constituée de baleines ou d'éléphants, mais bien de petits invertébrés, essentiellement des arthropodes comme les insectes, les araignées et les crustacés. Et comme il existe tellement peu de taxonomistes face à un nombre astronomique d'invertébrés, seuls les groupes très différenciés sont classés comme espèces différentes, généralement sur la seule inspection visuelle, sans analyse génétique. Or lorsque les scientifiques examinent de plus près l'ADN de ces invertébrés morphologiques, ils découvrent en général des espèces multiples. Elles peuvent avoir un air de ressemblance, mais ne se croisent jamais et ne l’ont jamais fait depuis des millions d’années.

Un moustique, sept espèces

Par exemple, l’insecte qu’on croyait autrefois appartenir à une seule et unique espèce de moustique porteur du paludisme s’est révélé comme étant constitué d’au moins sept espèces différentes. Et dans le cas d’un parasite dévastateur en agriculture, la mouche blanche du tabac, ce sont 31 espèces cryptiques qui ont été dénombrées.

Examiner chaque espèce connue dans ses détails génétiques va représenter une tâche herculéenne, même avec la promesse de techniques rapides comme le code-barres de l’ADN. Mais, ce faisant, ce sont les espèces cryptiques qui devront se révéler comme la règle et non l’exception, parmi la majorité des espèces vivantes.

Des millions d’espèces supplémentaires

La plupart des deux millions d’espèces répertoriées sont des espèces morphologiques. Le fait d’avancer le chiffre de 8,7 millions d’espèces sur Terre est une extrapolation de cette estimation de 2 millions. Cependant, une cascade de nouvelles preuves génétiques démontre que de nombreuses espèces morphologiques déjà connues peuvent représenter jusqu’à au moins dix espèces cryptiques toutes semblables les unes aux autres, mais constituant néanmoins de véritables espèces avec des patrimoines génétiques distincts. Et donc, les 2 millions d’espèces morphologiques déjà décrites pourraient facilement représenter 20 millions d’espèces à part entière. Du même coup, cette augmentation d'un facteur dix ferait passer les estimations de biodiversité totale de la Terre à une amplification similaire, par exemple de 8,7 millions à 87 millions.

Une différenciation vitale pour l'humanité

L'ignorance de la différenciation des espèces cryptiques pourrait être lourde de conséquences. Par exemple, il est impératif de savoir si un moustique vecteur de maladies appartient à une ou plusieurs espèces, car les espèces cryptiques, ignorées jusqu'à présent car morphologiquement identiques, diffèrent dans leur comportement, leur habitat et leur capacité de transmettre le paludisme, mais surtout dans leur réponse à différents traitements. Une réalité qui, si l'on n'en tient pas compte, pourrait réduire à néant les espoirs des scientifiques dans leurs tentatives d'éradication de la maladie. Et on ne parle ici que des moustiques…

Jean Etienne

Sources principales :

The Earth’s biodiversity could be much greater than we thought (Mike Lee, professeur en biologie moléculaire à l'Université d'Adélaïde – Australie, et Paul Oliver, post-doctorant en biologie évolutive, zoologie et taxonomie à l'Université de Melbourne – Australie).

Correspondence - Count cryptic species in biodiversity tally (Nature 621, vol. 534, 30 juin 2016).

 

 

 
Anopheles gambiae, moustique vecteur de la malaria, se partage dorénavant en six espèces cryptiques ne répondant pas obligatoirement aux mêmes traitements ni aux mêmes pesticides. Crédit : Université d'Adélaïde.
 

 

 
 
 

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