4 décembre 2018

 

Les pyramides chinoises et l'étoile polaire

 
La découverte d'une armée de statues en terre cuite a fait la célébrité du complexe funéraire du premier empereur chinois de la dynastie Qin (3ème siècle avant JC). Mais il est moins connu que la tombe proprement dite, non encore fouillée, repose sous une gigantesque colline artificielle de section carrée de plus de 350 mètres de côté et 40 mètres de hauteur. Et qui porte un message astronomique précis.

Il est encore moins connu que tous les empereurs de la dynastie suivante, les Han occidentaux, ont choisi d'être enterrés sous des pyramides similaires. Des mausolées encore visibles aujourd'hui dans le paysage en développement rapide des environs nord-ouest de Xian, le long de la rivière Wei. En comprenant les tombeaux des reines et autres membres des familles royales, il existe plus de quarante de ces "pyramides chinoises". Parmi ceux-ci, deux seulement ont été (partiellement) excavées.

Une nouvelle étude vient de paraître dans la revue universitaire Archaeological Research in Asia sur le rôle de l'astronomie et de la doctrine traditionnelle du "feng shui" dans les nécropoles impériales chinoises. Dans le cadre de ce travail, des techniques simples basées sur des images satellite sont utilisées, ainsi que des enquêtes sur le terrain, pour collecter un grand nombre de nouvelles données et, en particulier, pour étudier l'orientation des bases de la pyramide.
 

 
Le feng shui (chinois simplifié : 风水 ; chinois traditionnel : 風水 ; pinyin : fēng shuǐ, qui signifie littéralement "le vent et l'eau") est un art millénaire d'origine chinoise qui a pour but d'harmoniser l'énergie environnementale (le qi, 氣/气 ) d'un lieu de manière à favoriser la santé, le bien-être et la prospérité de ses occupants. En Chine, on l'appelle généralement la discipline fēng shuǐ xué ( 风水学, "étude du vent et de l'eau"). Cet art vise à agencer les habitations en fonction des flux visibles (les cours d'eau) et invisibles (les vents) pour obtenir un équilibre des forces et une circulation de l'énergie optimale. Il s'agit de l'un des arts taoïstes, au même titre que la médecine traditionnelle chinoise ou l'acupuncture, avec lesquelles il partage un tronc commun de connaissances.
 

En effet, il est bien connu que les pyramides égyptiennes, par exemple, sont orientées avec une grande précision vers les points cardinaux en raison des liens très forts de la religion funéraire des pharaons égyptiens avec le ciel, et tout particulièrement avec les étoiles circumpolaires.

Quoiqu'il n'y ait aucun lien avec les pyramides égyptiennes, les empereurs chinois ont également attribué leur pouvoir à un mandat direct du ciel, identifiant la région circumpolaire comme une image céleste du palais impérial et de ses habitants. Il était donc naturel de s'attendre à ce que les pyramides chinoises, tombeaux des empereurs, soient orientées selon les points cardinaux. Et à cet égard, les résultats de la nouvelle étude sont surprenants.
 

 

 
L'immense mausolée Maoling de l'empereur Wu de Han. Crédit: Giulio Magli.
 
En effet, ces constructions peuvent être classées en deux "familles" bien distinctes. La première comprend des monuments orientés avec une bonne précision vers les points cardinaux, comme prévu. Tandis que dans la seconde, on observe des déviations importantes par rapport au "nord vrai", mais toutes identiques, légèrement vers l'ouest.

Il est exclu que cela résulte d'une erreur des astronomes et des architectes chinois. On pourrait penser qu'une variation du champ magnétique aurait pu influencer la boussole, qui a été effectivement inventée sous une forme quelque peu rudimentaire à la même époque, mais il n'y a pas de correspondance avec les données paléomagnétiques emprisonnées dans la roche ; le décalage était bien voulu.

L'explication est surprenante : les empereurs qui ont construit les pyramides de "type 2" ne voulaient pas les pointer vers le pôle nord céleste, qui à cette époque ne correspondait à aucune étoile visible, mais vers l'étoile qui désignerait le pôle à l'avenir : Polaris, aujourd'hui connue sous le nom d'étoile polaire.

Cela peut nous paraître étrange, mais il faut se rappeler que les astronomes chinois étaient très probablement conscients de l'existence du phénomène dit de "précession des équinoxes" faisant que la direction vers laquelle pointe l'axe de la Terre se déplace lentement, mais constamment. De nos jours, nous sommes habitués à confondre la direction du pôle nord avec Polaris (bien que la coïncidence ne soit pas parfaite), mais à l'époque des empereurs Han, la direction du pôle nord était encore éloignée de Polaris, très précisément à la même distance exprimée en degrés que le décalage observé entre l'orientation des pyramides de "type 2" et le nord géographique.

Autrement dit, la volonté des bâtisseurs n'était pas d'orienter leurs imposantes constructions vers le Pôle nord, mais vers une étoile qui revêtait certainement une importance considérable dans leur croyance.

Jean Etienne

Sources principales :

The 'Chinese Pyramids' and the pole star. Phys.org, Institut polytechnique de Milan (Italie), 29 novembre 2018.

Royal mausoleums of the western Han and of the Song Chinese dynasties: A satellite imagery analysis. Archaeological Research in Asia, vol. 15, Septembre 2018, Pages 45-54. DOI: 10.1016 / j.ara.2017.10.003.
 

 

 
Les guerriers en terre cuite protégeant le front est du mausolée de Qin. Crédit: Giulio Magli.
Cliquer sur l'image pour agrandir.
 
 
 
 

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