14 décembre 2018

 

Le mystère des sillons de Phobos élucidé

 
A l'instar des rayons d'éjectas entourant le cratère Tycho sur la Lune, de nombreux sillons émanent du cratère de Stickney sur le satellite martien Phobos. Mais étrangement, ceux-ci semblent parfois diverger, parfois converger, voire se recouper, défiant jusqu'ici toutes les explications.

Une nouvelle simulation informatique, entreprise par une équipe de scientifiques sous la direction de Ken Ramsley, chercheur en sciences planétaires à la Brown University (Providence, Rhode Island, USA), a pu reproduire les mouvements de blocs de rochers éjectés du cratère de Stickney, une énorme excavation naturelle située à une extrémité du corps oblong de Phobos et vraisemblablement provoquée par un impact d'astéroïde. Les modèles ainsi créés montrent que ces débris, en roulant à la surface du satellite suite à l'impact, auraient très bien pu engendrer le curieux réseau de sillons observé aujourd'hui.
 

 

 
La majeure partie de la surface de Phobos est recouverte d'étranges rainures linéaires. De nouvelles recherches renforcent cette idée que les rochers sablés du cratère de Stickney (la grande dépression à droite) ont sculpté ces rainures emblématiques. Crédit: NASA / JPL-Caltech / Université de l'Arizona.
 

"Ces rainures sont un trait distinctif de Phobos, et les scientifiques planétaires en ont discuté pendant 40 ans", a déclaré Ken Ramsley. "Nous pensons que cette étude est un important pas en avant vers une explication."

Les rainures de Phobos, visibles sur presque toute la surface de la petite lune, ont été aperçues pour la première fois dans les années 1970 par les missions Mariner et Viking de la NASA. Au fil des ans, les explications fournies pour expliquer leur formation ne manquent pas. Certains scientifiques ont postulé que des impacts importants sur la planète Mars elle-même pouvaient avoir éjecté des matériaux vers le satellite naturel, y provoquant ces sillons par impacts rasants. D'autres estimaient que les forces de gravité déforment lentement Phobos, et que ces rainures sont des signes de défaillance structurelle. Enfin d'autres chercheurs ont démontré qu'il existait un lien entre les rainures et l'impact de Stickney. À la fin des années 1970, les scientifiques planétaires Lionel Wilson et Jim Head ont proposé l’idée que des éjectas - des blocs rebondissants, glissants et roulants - de Stickney auraient sculpté les rainures.
 

 

 
Le cratère de Stickney, observé par la sonde MRO (Mars Reconnaissance Orbiter) de la Nasa.
Crédit : Nasa/JPL.
 

Comparativement à Phobos, d'une taille de 27 km dans sa plus grande longueur, Stickney est un énorme cratère de 9 km de large. Selon Ramsley, l’impact qui en a résulté aurait fait exploser des tonnes de roches géantes, rendant l’idée de blocs roulants tout à fait plausible. Mais cette théorie se heurtait à certains détails.

Des trajectoires… impossibles

On remarque par exemple que toutes les rainures ne sont pas alignées radialement par rapport à Stickney, contrairement à ce que l’on devrait observer si elles avaient été réalisées par des éjectas. Et certaines rainures se superposent, ce qui suggère que certaines d'entre elles devaient déjà être présentes lors de la création de celles-ci. Deux évènements séparés auraient pu avoir cet effet, mais la probabilité que deux astéroïdes aient percuté le petit astre à des moments différents et exactement au même endroit est infime, voire utopique. De plus, certains sillons traversent Stickney même, ce qui suggère que le cratère devait déjà être présent lors de la formation des rainures. On observe aussi une zone vierge de toute trace, comme si les rochers avaient littéralement joué à "saute-mouton…

Pour tenter de répondre à ces questions, le modèle informatique de Ramsley simule ces "blocs roulants" en tenant compte de la forme et de la topographie de Phobos, ainsi que de son environnement gravitationnel, de sa rotation et de son orbite autour de Mars. Et le résultat est surprenant.

La simulation montre que les blocs ont tendance à s'aligner dans des ensembles de chemins parallèles, qui s'imbriquent avec certains faisceaux de rainures parallèles observés sur Phobos. Mais ce n'est pas tout. Elle montre aussi qu’en raison de la petite taille du satellite et de sa gravité relativement faible, les rochers émanant de Stickney suite à l'impact continuent de rouler au lieu de s’arrêter au bout d’un kilomètre environ comme ils l'auraient fait à la surface d'un corps plus massif, poursuivant leur route jusqu'à effectuer un tour complet du petit l'astre. Cette circumnavigation pourrait expliquer pourquoi certaines rainures ne sont pas alignées radialement avec le cratère : les blocs qui commencent à rouler dans l'hémisphère oriental de Phobos produisent des sillons qui semblent mal alignés par rapport à leur point d'origine lorsqu'ils atteignent l'hémisphère occidental.
 

 

 
Les simulations ont montré comment les rochers ont sculpté les figures emblématiques observées sur la surface de Phobos. Crédit : Ken Ramsley / Brown University.
 

Ces modèles montrent aussi que certains sillons formés juste après l'impact ont été traversés, quelques minutes ou quelques heures plus tard, par des blocs de rocher complétant leur parcours global. Dans certains cas, ils sont retournés à leur point de départ, le cratère de Stickney tout juste formé, y traçant aussi des sillons. Ensuite, il y a la zone vierge de toute trace. Selon Ramsley, cette région s'avère être une plaine de basse altitude sur Phobos, entourée d'une "lèvre" supérieure. Les simulations ont montré que des rochers franchissaient cette lèvre en bondissant par-dessus cette région avant de redescendre de l'autre côté.
 

 

 
Les simulations montrent comment les rochers effectuent un bond en avant au-dessus d'une zone particulière de Phobos, expliquant pourquoi elle est dépourvue de sillons. Crédit : Ken Ramsley / Brown University.
 
"C'est comme un saut à ski", a déclaré Ramsley. "Les rochers continuent, mais tout à coup, il n'y a plus de terrain. Ils effectuent alors un véritable vol suborbital au-dessus de cette zone."

Selon Ramsley, les réponses données par les modèles informatiques répondent parfaitement aux questions-clés sur la façon dont les éjectas produits par le cratère de Stickney auraient pu être responsables du réseau singulier de sillons observé à la surface de Phobos.

Jean Etienne

Source principale :

Origin of Phobos grooves: Testing the Stickney Crater ejecta model, par Kenneth R. Ramsley & James W. Head, 16 novembre 2018, Planetary and Space Science. 

 

 
Phobos, photographié par Mars Reconnaissance Orbiter. Crédit : Nasa/JPL.
 

 

 
 
 

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