12 janvier 2019

 

Première mesure de la vitesse de rotation d'un trou noir

 
Depuis les premières observations, les astrophysiciens avaient théorisé que les trous noirs possédaient un moment cinétique qui leur conférait un mouvement de rotation très rapide. Cependant, en mesurer la valeur demeurait une gageure. Des circonstances exceptionnelles ont permis de le faire avec l'un d'entre eux : à l'équateur, la vitesse de ASASSN-14li atteint la moitié de la vitesse de la lumière !

On pense aujourd'hui que toutes les galaxies massives de l'Univers renferment un trou noir géant en leur centre, celui-ci lui étant inextricablement lié. En tant que tel, en connaître davantage sur ces géants peut se révéler une clé pour une meilleure compréhension de l'évolution des galaxies au fil du temps.

La force de gravitation d'un trou noir est extrême, au point d'empêcher toute forme de radiation, y compris lumineuse, de s'en échapper, comme un jet d'eau qui finit par retomber sur lui-même ou au sol. Mais il a aussi pour effet de déchiqueter les étoiles qui s'en approcheraient de trop près, dont les débris s'enroulent alors en spirale tout autour du trou noir, avant de s'y engouffrer. Mais avant, ces débris se réchauffent considérablement et deviennent la source d'une très intense émission en rayons X.

Une telle observation constituerait une sorte de Graal de l'astronomie. Mais malgré le nombre élevé de trous noirs, beaucoup sont en "sommeil", car il n'y a pas de matière dans les environs pour émettre un rayonnement détectable, et ne peuvent être mis en évidence que par l'influence exercée à grande distance sur certaines étoiles éloignées. Cependant, il est statistiquement prévisible que toutes les quelques centaines de milliers d'années, une étoile passera assez près pour être absorbée. Et cet évènement fournira alors une brève fenêtre d'opportunité pour mesurer certaines propriétés fondamentales du trou noir lui-même, telles sa masse et sa vitesse de rotation.
 

 

 

Cette vue d'artiste représente un disque de gaz chauds gravitant autour d'un trou noir. La partie la plus brillante est constituée de restes d'étoile en cours d'accrétion par le trou noir, qui finiront par s'y confondre. La mise en évidence de la courbe de luminosité en rayonnement X permet d'estimer la vitesse de rotation de l'ensemble. Crédit : NASA / CXC / M. Weiss.

 

Reste que mesurer cette vitesse de rotation relève de l'exploit, car les effets de spin recherchés apparaissent très près du trou noir, à la limite de son "horizon des évènements" (la limite au-delà de laquelle les radiations ne peuvent plus s'échapper), explique Dheeraj Pasham, post doctorant à l'Institut Kavli d'astrophysique et de recherche spatiale du MIT, auteur principal de l'étude. "Cependant, les modèles montrent que la masse d’une étoile déchiquetée s’installe dans une sorte de disque, ou d'anneau, qui émet des rayons X. Nous donc avons supposé que découvrir des exemples où cet anneau brille de manière particulièrement intense fournirait un moyen de déterminer la vitesse de rotation d'un trou noir, mais nous ne disposions pas d'instruments assez sensibles pour y arriver, du moins jusqu'à maintenant."

La "Pierre de Rosette" de l'astronomie

Le 22 novembre 2014, l'ASASSN (All-Sky Automated Survey for Supernovae), un ensemble de 20 télescopes automatisés répartis dans le monde entier et destiné à la détection de nouvelles supernovæ et autres phénomènes transitoires, découvrait une source de rayonnement X extrêmement intense, liée à un trou noir dont la masse était estimée à environ un million de fois celle du Soleil, dans la galaxie PGC 043234, à environ 290 millions d'années-lumière de la Terre. Cette émission présentant un cycle très régulier de 131 secondes et ne variant pas durant 450 jours d'observation continue, une conclusion s'imposait : elle résultait de la rotation de l'objet.

Les astronomes ont ensuite fait appel à d'autres télescopes, notamment dans l'espace : l'observatoire Chandra à rayons X de la NASA , l'observatoire XMM-Newton de l'ESA et l'observatoire Neil Gehrels Swift de la NASA. Les informations ainsi recueillies, en prenant en compte la masse et la dimension du trou noir, baptisé ASASSN-14li, ont permis d'en déterminer la vitesse de rotation : au niveau de l'équateur, celui-ci tourne à une vitesse sensiblement équivalente à la moitié de la vitesse de la lumière, et que le signal reçu provenait de ses régions les plus profondes, au voisinage de son horizon.

"C’est une découverte exceptionnelle : un tel signal, stable depuis si longtemps, n’avait jamais été observé auparavant à proximité d’un trou noir", ajoute le professeur Alessia Franchini, co-auteur de l'étude et chercheur de l’Université de Milan (Italie). "De plus, le signal provient de très près de l'horizon des événements du trou noir. Au-delà de ce point, nous ne pouvons plus rien observer, la gravité étant si forte que même la lumière ne peut pas s'en échapper."

Cette étude introduit aussi une nouvelle façon de mesurer les spins des trous noirs massifs par l'observation de leur action exercée sur une étoile de passage qu'ils absorbent. De tels évènements peuvent également nous instruire sur certains aspects de la théorie de la relativité générale, car bien que que ce phénomène ait été étudié de manière approfondie sous une gravité "normale", il n'est pas encore totalement compris dans les régions où la gravité est exceptionnellement forte.

"XMM-Newton est extrêmement sensible à ces signaux, bien plus que tout autre télescope à rayons X", déclare Norbert Schartel, scientifique du projet XMM-Newton de l'ESA. "Le satellite fournit des expositions longues, détaillées et ininterrompues qui sont essentielles à la détection de tels signaux. Nous commençons tout juste à comprendre la physique complexe en jeu ici. En trouvant des exemples où la masse d'une étoile déchiquetée brille de manière particulièrement intense, nous pourrons établir un recensement des trous noirs dans l'Univers et analyser le comportement de la matière dans certaines régions relevant des conditions les plus extrêmes du cosmos. "

Jean Etienne

Sources principales :

Shredded Star Leads to Important Black Hole Discovery. Chandra X-Ray Laboratory, Nasa. 9 janvier 2019.

Fonctionnement de l'imageur en rayonnement X ACIS de Chandra (Advanced CCD Imaging Spectrometer). Nasa.

XMM-Newton captures final cries of star shredded by black hole. ESA, Space Science.

X-ray pulse detected near event horizon as black hole devours star. Massachusetts Institute of Technology (MIT), 9 janvier 2019.
 

 

 
ASASSN-14li, vu ici par la caméra européenne d'imagerie à photons EPIC (European Photon Imaging Camera) sur le télescope spatial en rayonnement X de l'ESA XMM-Newton dissimule un trou noir au moins un million de fois plus massif que le Soleil qui a déchiqueté et absorbe une étoile proche. Crédit : ESA.
 
 
 

 
La galaxie hôte de ASASSN-14li, un trou noir dévorant une étoile, observé en lumière visible par le télescope spatial Hubble. L'insert en bas à gauche montre l'image en rayons X obtenue par l'observatoire Chandra de la NASA. Crédit : ESA / Nasa.
 

 

 
 
 

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