29 mai 2019

 

Grâce à la musique, le cerveau des grands prématurés se construit mieux

 
Si les progrès de la médecine donnent aujourd'hui une bien meilleure chance de survie aux grands prématurés, le risque de développer des troubles neuropsychologiques reste important. Une nouvelle arme, particulièrement efficace pour contrer cette conséquence vient d'être découverte : une musique spécialement composée pour eux.

Le Service des soins intensifs néonataux des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) accueille chaque année environ 80 enfants nés entre la 24ème et la 32ème semaine de grossesse, soit jusqu'à près de quetre mois avant terme. Grâce aux progrès de la médecine néonatale, la très grande majorité d'entre eux survivront, mais la moitié présenteront plus tard des troubles d'origine neurologiques au cours de leur développement, notamment des troubles de l'apprentissage, de la concentration ou de la gestion des émotions.
 

 

 


Aux soins intensifs, les enfants sont en effet inondés de stimuli sans relation avec leur état : les portes s'ouvrent et se ferment, les alarmes se déclenchent, etc. Contrairement au bébé né à terme qui, tout au long de son séjour in utero, ajuste son rythme à celui de sa mère, le prématuré aux soins intensifs ne peut ainsi que difficilement développer le lien entre la signification d'un stimulus dans un contexte précis. "A leur naissance, le cerveau de ces bébés est encore immature. Le développement cérébral doit donc se poursuivre aux soins intensifs, en couveuse, dans des conditions bien différentes que s'ils étaient encore dans le ventre de leur mère", explique Petra Hüppi, professeure à la Faculté de médecine de l'UNIGE et médecin-cheffe du Service de développement et croissance des HUG, qui a dirigé ces travaux. "Cette immaturité cérébrale, alliée à un environnement sensoriel perturbant, explique le fait que les réseaux neuronaux ne se développement pas normalement."

Pour aider le cerveau de ces nouveau-nés si fragiles à se développer au mieux, et ce malgré l'environnement stressant des soins intensifs, des chercheurs de l'Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) proposent une solution originale : leur faire écouter de la musique composée spécialement pour eux. Et les premiers résultats sont surprenants : l'imagerie révèle en effet que les réseaux neuronaux des petits prématurés ayant écouté cette musique, et en particulier un réseau impliqué dans de nombreuses fonctions sensorielles et cognitives, se développent bien mieux.

Une musique sur mesure

Les chercheurs genevois sont partis d'une idée concrète : comme les déficits neuronaux des prématurés sont notamment dus à des stimulations inattendues et stressantes et à un manque de stimulations adaptées à leur fragilité, il faudrait aménager leur environnement en y introduisant des stimuli agréables et structurants. Le système auditif étant fonctionnel tôt, la musique est apparue comme un bon candidat. Mais quelle musique ? "Nous avons rencontré, un peu par hasard, le compositeur Andreas Vollenweider, qui avait déjà mené des projets musicaux avec des populations fragiles et qui s'est montré très intéressé à créer une musique adaptée aux enfants prématurés."Lara Lordier, docteure en neurosciences et chercheuse aux HUG et à l'UNIGE, décrit ainsi le processus de création musicale. "Il était important que ces stimuli musicaux soient en relation avec l'état du bébé. Nous voulions ainsi structurer la journée avec des stimuli plaisants présentés à des moments adaptés : une musique pour accompagner l'éveil, une pour accompagner l'endormissement et une pour interagir durant les phases d'éveil."

Pour choisir des instruments adaptés à ces tout petits patients, Andreas Vollenweider a joué toutes sortes d'instruments aux bébés, en présence d'une infirmière spécialisée en soin de soutien au développement. "L'instrument qui a engendré le plus de réactions était la flûte indienne des charmeurs de serpents (le punji)", se souvient Lara Lordier. "Des enfants très agités se calmaient presque instantanément, leur attention était attirée par la musique !" Le compositeur a ainsi composé trois environnements sonores de huit minutes chacun, composés de morceaux de punji, de harpe et de clochettes.

Des connexions cérébrales plus efficaces grâce à la musique

L'étude s'est déroulée en double aveugle, avec un groupe de prématurés qui a écouté la musique, un autre groupe de prématurés contrôle, ainsi qu'un groupe d'enfants nés à terme afin d'évaluer si le développement du cerveau des prématurés qui avaient écouté la musique serait davantage similaire à celui des bébés nés normalement à terme. Les scientifiques ont utilisé l'IRM fonctionnelle au repos sur les trois groupes d'enfants. Sans musique, les prématurés avaient de manière générale une connectivité fonctionnelle entre les aires du cerveau moins bonne que les bébés nés à terme, confirmant ainsi l'effet négatif de la prématurité. "Le réseau le plus atteint est le réseau dit 'de saillance' qui détecte les informations et en évalue la pertinence à un moment précis, pour faire ensuite le lien avec les autres réseaux cérébraux qui doivent agir. Ce réseau est essentiel, tant pour l'apprentissage et l'exécution des tâches cognitives que dans les relations sociales ou la gestion des émotions," indique Lara Lordier.

Par contre, les réseaux neuronaux des enfants ayant entendu la musique d'Andreas Vollenweider se sont trouvés améliorés de manière significative : les connexions entre le réseau de saillance et le cortex auditif, le cortex sensori-moteur ou encore le cortex frontal étaient en effet beaucoup plus actives et proche de celles d'un enfant né à terme.

Les enfants grandissent, seconde phase de l'étude

Les premiers grands prématurés ayant fait l'objet de cette étude sont maintenant âgés de 6 ans, soit la période à laquelle les troubles cognitifs associés commencent à apparaître. Une seconde phase de l'étude débute, au cours de laquelle les scientifiques vont réexaminer les jeunes patients pour mener une évaluation cognitive et socio-émotionnelles complète et observer si les résultats positifs mesurés lors de leurs premières semaines de vie ont perduré.

Jean Etienne

Sources principales :

Music in premature infants enhances high-level cognitive brain networks. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 28 mai 2019.

Music helps to build the brains of very premature babies. Université de Genève, 27 mai 2019. 

 

 
L'un des plus grands prématurés ayant survécu. (22 semaines, 587 grammes). Grande-Bretagne.
 

 

 
 
 

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