10 avril 2019

 

La première image d'un trou noir révélée

 
Deux années de traitement au moyen de développements technologiques et informatiques qui n'existent que depuis très récemment des données reçues pendant dix jours en 2017 ont permis d'obtenir la première représentation réelle d'un trou noir, une avancée scientifique riche de promesses pour notre connaissance de l'Univers.

Pour cette réalisation, le télescope Event Horizon (EHT) a été créé. Il consiste en un défi technique et logistique de taille, combinant le Large Millimeter Telescope (LMT), l'instrument en ondes millimétriques le plus sensible au monde, avec des télescopes situés à Hawaii, en Arizona, au Pôle Sud, au Chili et en Espagne pour une observation coordonnée s'étalant entre le 4 et le 14 avril 2017. Un projet gigantesque, puis qu'il consiste tout simplement à synthétiser, par interférométrie, l'ensemble de la Terre en un télescope géant. Car même si un trou noir est par définition invisible, ce n'est pas le cas de ce que les astronomes appellent l' "horizon des évènements", la limite entre l'intérieur de l'astre et l'espace environnant.

L'image révèle le trou noir supermassif se trouvant au centre de Messier 87, une galaxie située dans le groupe de galaxies de la Vierge. La masse de ce trou noir, qui se situe à 55 millions d'années-lumière équivaut à quelque 6 millions de fois celle de notre Soleil.
 

 

 
À l'aide du télescope Event Horizon, les scientifiques ont obtenu une image du trou noir situé au centre de la galaxie M87, délimitée par l'émission de gaz chauds tourbillonnant autour de lui sous l'influence d'une forte gravité près de son horizon des évènements. Crédit : EHT.
 

"Il s'agit d'une journée historique pour l'astrophysique", a déclaré France Córdova, directrice de la National Science Foundation (NSF). "Nous voyons l'invisible. Les trous noirs suscitent l'imagination depuis des décennies. Ils ont des propriétés exotiques et nous sont mystérieux. Pourtant, avec d'autres observations comme celle-ci, ils livrent leurs secrets. C'est pourquoi NSF existe. Nous permettons aux scientifiques et aux ingénieurs pour illuminer l'inconnu, pour révéler la majesté subtile et complexe de notre univers".

"Nous avons pris la première photo d'un trou noir", a déclaré Sheperd S. Doeleman, directeur du projet EHT du Centre for Astrophysics | Harvard et Smithsonian. "Il s'agit d'un exploit scientifique extraordinaire accompli par une équipe de plus de 200 chercheurs."

La National Science Foundation (NSF) a joué un rôle central dans cette découverte en finançant des chercheurs individuels, des équipes scientifiques interdisciplinaires et des installations de recherche en radioastronomie depuis la création de l’EHT. Au cours des deux dernières décennies, NSF a directement financé plus de 28 millions de dollars dans le programme EHT, l’engagement de ressources le plus important pour le projet.

Les observations EHT utilisent une technique appelée interférométrie à très grande base de base (VLBI). qui synchronise les installations de télescope à travers le monde et exploite la rotation de notre planète pour former un immense télescope de la taille de la Terre, observant à une longueur d'onde de 1,3 mm. Le VLBI permet à l’EHT d’atteindre une résolution angulaire de 20 micro-secondes d’arc, soit une définision qui permettrait de lire un journal disposé à New York depuis un café-terrasse à Paris.
 

 

 
Disposition de l'ensemble des instruments formant le télescope Event Horizon (EHT).
Crédit : The Astrophysical Journal Letters.
 

Les trous noirs sont des objets cosmiques extraordinaires aux masses énormes mais aux dimensions extrêmement compactes. La présence de ces objets affecte leur environnement de manière extrême, déformant l'espace-temps et surchauffant les matériaux environnants. "S'ils sont immergés dans une région claire, comme un disque de gaz étincelant, nous nous attendons à ce qu'un trou noir crée une région sombre semblable à une ombre - ce que la relativité générale d'Einstein avait prédit, ce que nous n'avions encore jamais vu", annonce Heino Falcke de l'Université Radboud, Pays-Bas, et conseiller scientifique du programme EHT. "Cette ombre, causée par la flexion gravitationnelle et la capture de la lumière par l'horizon des événements, en dit long sur la nature de ces objets fascinants et nous a permis de mesurer la masse énorme du trou noir de M87."

Plusieurs méthodes de calibration et d'imagerie ont révélé une structure en anneau avec une région centrale sombre - l'ombre du trou noir - qui persistait au cours de plusieurs observations EHT indépendantes. "Une fois que nous étions sûrs d'avoir imagé l'ombre, nous pouvions comparer nos observations à de vastes modèles informatiques incluant la physique de l'espace déformé, la matière surchauffée et les champs magnétiques puissants. De nombreuses caractéristiques de l'image observée correspondent étonnamment bien à notre représentation théorique", remarque Paul TP Ho, membre du conseil d'administration de l'EHT et directeur de l'Observatoire d'Asie de l'Est. "Cela nous rend confiants quant à l'interprétation de nos observations, y compris notre estimation de la masse du trou noir."

Créer l'ISE était un défi de taille qui nécessitait la mise à niveau et la connexion d'un réseau mondial de huit télescopes préexistants déployés sur divers sites difficiles d'accès à haute altitude. Ces sites comprenaient des volcans à Hawaii et au Mexique, des montagnes en Arizona et la Sierra Nevada espagnole, le désert d’Atacama au Chili et l’Antarctique.

Pourquoi observer l’horizon des évènements d’un trou noir ?

Relativité générale et mécanique quantique se combinent forcément dans une théorie fondamentale unifiée, qui n'a pas encore été découverte. Et le seul endroit actuellement identifié où cette unification est observable se situe précisément dans l'horizon des évènements, entre le trou noir lui-même, où la relativité générale ne fonctionne pas, et l'espace environnement, qui y est soumis tout comme nous. Savoir jusqu'où exactement fonctionne la relativité générale, et éventuellement ce qui se passe ensuite, pourrait faire faire un bond de géant dans la connaissance de la matière et de l'Univers.

Certes, le télescope Event Horizon n’est pas uniquement conçu pour avoir une image qui va faire le tour du monde, mais pour déterminer la forme et la dimension de cet horizon, dont on sait qu'elles ont des effets très importants sur la masse et le spin du trou noir.

Un autre objectif est d’étudier la physique de l’accrétion qui est le processus par lequel le trou noir attire la matière avoisinante. On sait que le trou noir est entouré d'un anneau de matière en rotation autour de l'horizon des évènements, nommé disque d'accrétion, et les scientifiques veulent comprendre le début et le comportement des grands jets de plasma qui sont lancés par les trous noirs au centre de la plupart des galaxies.

Un autre défi sera, grâce à cette image et son interprétation, de vérifier l'hypothèse connue sous le nom de "paradoxe de l'information", émise par Stephen Hawking, selon laquelle la matière qui tombe dans le trou noir ne peut pas être définitivement perdue et qu’elle fuite d’une manière ou d’une autre.

Jean Etienne

Source principale :

First M87 Event Horizon Telescope Results. The Astrophysical Journal Letters, 10 avril 2019.
Télécharger la publication complete (pdf).
 

 

 
L'instant précis de la présentation au public de la première image du trou noir de Messier 87.
 

 

 
 
 

Retour

Commentez cet article dans le forum