19 avril 2016

 

SKYLAB : la preuve par neuf  (partie 3 de 4)

 
Un des premiers actes des astronautes de la première mission consista donc à déployer un large écran solaire à travers un sas situé sur le côté de l'atelier de travail, afin d'abaisser la température à l'intérieur de la station endommagée. Mais comme celle-ci était encore restée trop élevée au niveau des alcôves de repos, les hommes durent se résoudre à dormir, du moins les premiers jours, dans le module d'arrimage qui avait conservé son propre bouclier.

Restait encore à rétablir l'alimentation électrique. Un examen minutieux réalisé depuis la cabine Apollo avait permis d'établir qu'un morceau de tôle bloquait le mécanisme en l'empêchant de fonctionner.

 

Vue extérieure de Skylab lors de la première approche. A droite, le panneau solaire ne s'est pas déployé.

Le 7 juin, après de minutieuses préparations, Conrad et Kervin sortirent dans l'espace pour tenter de libérer le panneau solaire récalcitrant. Conrad essaya d'abord de découper le morceau de métal tordu qui maintenait vraisemblablement le mécanisme bloqué. Une opération particulièrement délicate, car les techniciens de la Nasa redoutaient qu'en se déployant, des fragments de métal déchirés et coupants se détachent et endommagent la combinaison spatiale d'un des astronautes avec les conséquences tragiques que l'on devine. Ainsi, avait-il été mis à leur disposition une paire de cisailles montées au bout d'un manche de 7,60 mètres. Malgré l'effet d'un tel levier, les techniciens de la Nasa, après simulations, avaient estimé que l'astronaute qui manipulerait cet engin devrait exercer une force de 45 kg pour découper la tôle. On n'accepte pas de freluquets dans l'espace...
 

 

 
La poutre supportant le panneau solaire (en blanc) et la tôle déchirée enrayant le mécanisme de déployement apparaissent nettement ici.
 
L'opération fut vaine. Car non seulement à une telle distance les hommes opéraient-ils pratiquement à l'aveugle, mais encore, ils ignoraient ce qui pouvait bien coincer le mécanisme monté sur des ressorts puissants. Aussi, Conrad se résolut-il (sans trop d'enthousiasme de la part de la Nasa, faut-il le dire...) à ramper le long de la station, afin de positionner les cisailles avec plus de précision, tandis que Kerwin les manipulait à l'aide de filins. Il parvint ainsi à découper progressivement un bout de tôle qui semblait gêner, mais sans faire bouger le penneau solaire de façon appréciable. Techniciens et astronautes sentaient poindre un sentiment d'échec... 
 
 
Les cisailles utilisées pour couper la tôle récalcitrante, testées ici au banc, puis en piscine en état d'apesanteur avant leur envoi à bord de la première mission.
 
Conrad eut alors l'idée de fixer l'extrémité d'une corde de 9 mètres, qui faisait partie de son équipement, à la poutre d'armature du panneau solaire. Il s'éloigna le plus qu'il pouvait, puis passant le câble par-dessus son épaule tout en tournant le dos au dispositif, s'arc-bouta et fit levier de son corps, avec la force du désespoir. La poutre s'écarta brutalement, entraînant le panneau solaire qui se déploya immédiatement, tandis que Skylab faisait un bond de côté par réaction, ce qui faillit faire lâcher prise aux deux hommes.

Rentrés à bord, les astronautes de l'EVA purent constater que les huit batteries qui avaient été complètement déchargées recevaient à nouveau leur plein d'énergie, et qu'ils allaient pouvoir revenir à leur programme de vol initial.

L'équipage effectua une observation du Soleil en continu de 82 heures, récupérèrent les cassettes de films de l'observatoire astronomique et photographièrent plus de 10.355.000 km² de la Terre. Ils se livrèrent à bien plus d'expériences biomédicales que le programme le prévoyait, prouvant par-là même que non seulement un équipage humain pouvait favorablement adapter un programme de vol à des circonstances imprévues, mais encore l'améliorer malgré de mauvaises conditions de départ.

La mission rentra sur Terre le 22 juin 1973, elle avait duré 28 jours.

Deuxième mission

 

Les astronautes de la deuxième mission étaient Alan Bean, Owen Garriot et Jack Lousma. Ils décollèrent de Cap Canaveral à bord d'un vaisseau Apollo le 28 juillet 1973, effectuèrent un rendez-vous sans problèmes avec Skylab et s'y arrimèrent, mais ce fut pour se trouver devant un autre sérieux problème. Deux des quatre moteurs de la cabine Apollo perdaient de l'huile, une circonstance qui compromettait la sécurité lors du retour.

La NASA élabora aussitôt un plan de secours qui consistait à utiliser un autre vaisseau Apollo comme véhicule de sauvetage.

C'était la première fois que le fait allait se produire. La mission devait partir le 5 septembre avec les astronautes Vance Brand et le Dr Don Lindt.

Une mission de sauvetage prévue de longue date

Les plans pour modifier un module de commande et de service Apollo (CSM) en un véhicule de sauvetage existaient bien avant le lancement de la station Skylab, car ils dataient de novembre 1970. A cette époque, les techniciens de la North American Rockwell s'étaient inspirés d'un film tourné en 1969 (Les Naufragés de l'Espace), mettant en scène pareille mission au moyen d'une cabine Apollo modifiée. Le 17 mai 1972, le Marshall Space Flight Center publiait un manifeste officiel de la mission requise, décrivant les modifications à effectuer.

Celles-ci furent réalisées dans l'urgence sur une cabine Apollo de réserve. Le module de commande des missions Skylab standard abrite un équipage de trois personnes avec des casiers de stockage sur la cloison arrière pour le ravitaillement des films expérience et d'autres équipements, telles que le retour des films exposés, des bandes de données et des échantillons des expériences. Pour convertir le CSM standard en un véhicule de sauvetage, les casiers de stockage ont été supprimés et remplacés par deux sièges supplémentaires portant la capacité d'emport de la capsule à cinq membres d'équipage, et le module Apollo fut assemblé au sommet d'une fusée Saturne 1b.

 

 

 
Configuration du vaisseau afin de pouvoir accueillir cinq membres d'équipage.
 
Toutefois, il apparut que la fuite d'huile s'avérait bien moins importante que prévu, et la mission de sauvetage n'eut en fait jamais lieu, au grand soulagement de la Nasa et des astronautes.

Pendant ce temps, à bord de Skylab, l'équipage poursuivait les expériences de biologie, de médecine spatiale, de physique solaire, d'astrophysique, d'observation de la Terre et de technologie. Le 7 août, ils sortirent dans l'espace pour aller fixer un nouvel écran solaire à deux mâts au-dessus de celui qui avait été déployé par l'équipage précédent. Un nouvel écran conçu par… Jack Kinzler, cette fois selon les idées précédemment évoquées par notre pêcheur !

Les astronautes changèrent à nouveau les cassettes de films de l'observatoire et remplacèrent les commandes électroniques du groupe gyroscopique qui montrait quelques défaillances. Finalement, la deuxième équipe amerrit le 25 septembre, après être restée 59 jours en orbite et avoir accompli l'entièreté de la mission.
 
 
Troisième et dernière mission
 

La troisième et dernière mission décolla de Cap Canaveral le 16 novembre 1973 avec les astronautes Gerald Carr, le Dr Edward Gibson et William Pogue. Ils allaient battre tous les records. Ils accomplirent plus d'exercices physiques que les autres, passant beaucoup plus de temps par jour sur le vélo-ergomètre ou sur le tapis roulant de la "salle d'exercices". Bien qu'ils soient restés bien plus longtemps que les autres dans l'espace, 84 jours, les trois hommes à leur retour sur Terre étaient en bien meilleure condition physique et récupérèrent bien plus rapidement que leurs collègues prédécesseurs.

Au cours de leur mission, ils ont observé et photographié la comète Kohoutek, et passèrent de nombreuses heures à observer la Terre et à expérimenter quelle était la meilleure méthode d'étude des ressources naturelles; ce programme devait se révéler particulièrement fructueux pour l'élaboration de toutes les missions d'application d'observation, de télédétection et de cartographie terrestre, et les retombées s'en font encore largement et quotidiennement sentir, près de vingt années après. Mais en 1973, les astronautes rapportèrent en tout 40.286 photographies qui apportèrent un véritable trésor d'informations concernant l'agriculture, le domaine forestier, l'écologie, la géologie, la géographie, la météorologie, l'hydrologie et l'océanographie.

L'observatoire astronomique, qui disposait de ses propres panneaux solaires, était joliment appelé "Observatoire du Mont Apollo"
 

 

 
Le groupe de télescopes en cours d'assemblage au sol, dans la monture qui leur permet de pivoter.
 
Un autre évènement important, unique à l'époque, fut l'observation d'une éruption solaire depuis l'espace par un des astronautes qui passait de longues heures de veille au pupitre de commande de l'observatoire astronomique de bord. C'est la première fois qu'il était possible d'observer dans des conditions optimales les transferts d'énergie qui se produisent à cette occasion, transformant une partie de l'énergie du champ magnétique terrestre en énergie thermique. Au total, les astronautes obtinrent 182.842 photographies du Soleil dans les rayons X, les ultra-violets et la partie visible du spectre.

Comment terminer une telle mission d'envergure ?

Skylab était prévue pour accueillir neuf astronautes en trois missions, pas plus. En fait, ses réserves en air respirable, sans dispositif de régénération, et en nourriture, n'auraient pas permis une quatrième occupation. A cette époque, aucun vaisseau de ravitaillement n'existait… Toutefois, la NASA ne niait pas que la grande station, qui orbitait à basse altitude, finirait par retomber dans l'atmosphère. Et il fut estimé que, sur une masse restante en orbite de 71.200 kg, 18 à 23 tonnes survivraient à la rentrée et atteindraient le sol, ce qui ne fut pas sans causer quelques inquiétudes.

Skylab devrait se désorbiter, et donc retomber quelque part. Mais où, et avec quelles conséquences ? Dans le monde entier, des Terriens inquiets levaient le nez vers le ciel…

A suivre...

Jean Etienne

Partie 1 sur 4
Partie 2 sur 4

Partie 3 sur 4
Partie 4 sur 4

 

 

 
La cabine Apollo prévue pour le sauvetage de Skylab II existe toujours. Jamais utilisée, elle est actuellement exposée au Kennedy Space Center.
 
 
 
 
La fusée Saturne 1B SA-209 prévue pour cette même mision de sauvetage accueille aujourd'hui les visiteurs du Kennedy Space Center.
 
 
 
 

 

 
 
 

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