27 avril 2016

 

SKYLAB : la preuve par neuf  (partie 4 de 4)

 
Skylab était prévue pour accueillir neuf astronautes en trois missions, pas plus. En fait, ses réserves en air respirable et nourriture n'auraient pas permis une quatrième occupation. Toutefois, la NASA ne niait pas que la grande station, qui orbitait à basse altitude, finirait par retomber dans l'atmosphère. Et il fut estimé que, sur une masse restante en orbite de 71.200 kg, 18 à 23 tonnes survivraient à la rentrée et atteindraient le sol, ce qui ne fut pas sans causer quelques inquiétudes.

Après le départ de la dernière mission en 1974, la Nasa estimait que la grande station pourrait rester en orbite au moins jusqu'en 1980, année qui devait voir la navette spatiale entrer en service. Un appareil-robot appelé TRS (Teleoperator Recuperation System) fut mis au point, qui consistait en un moteur équipé de son propre système d'arrimage et d'une caméra TV pour le guidage depuis le sol. Une fois accouplé à Skylab, l'ordre d'allumage aurait été donné, soit pour hisser la station sur une orbite haute et plus sûre, soit pour la précipiter sans dommages vers l'océan Pacifique.
 
 

 
Image de Skylab prise par son troisième et dernier équipage. Crédit : Nasa.
 
Mais ce plan élaboré pour empêcher Skylab d'effectuer une descente incontrôlée vers la Terre fut trahi par le Soleil, dont un sursaut d'activité en 1978 et 1979 entraîna une expansion de l'atmosphère terrestre, induisant un effet de traînée qui provoqua un freinage sur orbite. Aussi fallut-il se rendre à l'évidence : la fin était proche, et la navette salvatrice ne serait jamais inaugurée à temps.

En avril 1979, le NORAD (North American Aerospace Defense Command, ou Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord), qui est responsable du contrôle de tous les vaisseaux spatiaux et de tous les satellites artificiels en orbite, émit un bulletin d'alerte prévoyant que Skylab rentrerait dans l'atmosphère entre le 11 juin et le 1er juillet. Cette sentence condamnait désormais tout espoir de sauvetage de la station.

Quand, mais surtout où se produira la chute ?

Même si 70 % de la route de Skylab survolait l'océan, ses débris pouvaient retomber absolument n'importe où, entre 50° nord et 50° sud. La Nasa tenta de tranquilliser le monde en assurant qu'elle offrirait toute l'assistance nécessaire si ceux-ci, ou une partie, devaient tomber sur un sol étranger, quel qu'il fût. Un message empreint d'honnêteté, mais qui ne fit qu'induire une certaine anxiété.

Une fois que l'atmosphère se serait emparée de la grande et lourde station, les simulations prévoyaient qu'elle allait se mettre à culbuter et se désintégrer, la plus grande partie se consumant sous l'effet de la chaleur intense produite par le frottement de l'air. Il était ainsi estimé que le couloir d'entrée des débris s'étendrait sur environ 6.500 km et au moins 80 km de part et d'autre de la trajectoire orbitale, et que 400 à 500 fragments de quelques centaines de grammes à plusieurs centaines de kg atteindraient le sol.

Contact !

Le 11 juillet 1979 à 14 heures TU précises, Skylab toucha l'atmosphère alors qu'elle commençait à survoler l'océan Pacifique. Conscients qu'il s'agissait de la zone idéale pour une rentrée avec un minimum de risques, les techniciens de la Nasa télécommandèrent ses moteurs d'attitude pour placer le lourd engin de travers par rapport à sa route, afin de provoquer une traînée maximale ayant pour effet de précipiter sa chute.

Mais au bout de quelques minutes, il apparut clairement que Skylab était entré en contact avec l'atmosphère sous un angle extrêmement faible, et était en train de rebondir sur sa trajectoire, en direction de la Californie. Aussitôt, la manœuvre inverse fut télécommandée afin que le gros satellite puisse traverser le ciel des Etats-Unis de part en part en restant sur son orbite le plus longtemps possible.

A 14h15 TU, il apparut évident que l'orbite de Skylab avait été totalement déstabilisée et qu'elle percuterait l'atmosphère en un point impossible à prévoir, situé sur une ligne partant du centre de l'Atlantique, survolant le continent africain, puis l'océan indien, jusqu'à l'Australie. Autrement dit, la moitié de la planète ! Confrontée à une telle perspective, la Nasa prit la seule décision raisonnablement envisageable : adopter une configuration de vol "aérodynamique", en espérant que la station pourrait encore survoler l'Afrique sans dommage.

Le grand plongeon

Skylab effectua enfin son grand plongeon au-dessus de l'océan indien. Les simulations prévoyaient que les panneaux solaires s'arracheraient d'abord vers 80 km d'altitude, puis que la station se scinderait en deux ders 65 km, l'observatoire astronomique et le corps principal se séparant pour poursuivre indépendamment leur descente sur des routes parallèles, puis explosant à 36 km en une myriade de débris incandescents.

Tout le long dela trajectoire, plusieurs avions de chasse avaient décollé pour tenter d'apercevoir la rentrée du grand satellite, mais ce furent les 180 passagers d'un Boeing 707 de la Japan Air Lines effectuant la liaison Sydney - Le Cap qui eurent cet honneur, observant avec stupéfaction à moins d'une vingtaine de kilomètres de distance une masse de métal et de feu déboulant du ciel. Car si Skylab se brisa bien en deux à 65 km, le corps principal atteignit entier l'altitude de 14 km avant de commencer sa désintégration, puis de s'éparpiller principalement en mer.

L'empreinte des débris fut ainsi beaucoup plus petite que prévu, 64 km de large et 3.800 km de long, débordant d'environ 1.200 km à l'intérieur du continent australien. Si la plupart des morceaux retombèrent dans l'océan, de gros fragments étaient encore ramassés plusieurs mois après la chute, ce qui amena tout naturellement les gens de l'endroit à organiser des "safaris Skylab". La porte du placard des films, pesant 82 kg, fut retrouvée près d'une ferme, à Balladonia. Deux grandes sphères en titane, qui contenaient encore de l'azote, furent retrouvées à Rawlinna, et à proximité, deux réservoirs à oxygène de la station reposaient dans un champ. Des fragments de Skylab sont toujours retrouvés actuellement. Heureusement, leur chute n'avait fait ni morts, ni blessés. Même parmi les kangourous…

L'enseignement de Skylab

Le programme Skylab aura été particulièrement riche d'enseignements. Pratiquement, et pour la première fois, il aura permis à l'homme de comprendre qu'il serait parfaitement stupide d'imaginer une forme de conquête de l'inconnu qu'est l'Espace en éludant l'aspect humain, et qu'il est vain, ou même sacrilège, de penser un seul instant que la machine, ou le robot, aussi intelligent soient-ils, puissent jamais remplacer l'esprit de leur inventeur. Et cela pour deux raisons. Tout d'abord, aussi perfectionnées soient-elles, les machines dites "intelligentes" ne pourront jamais faire qu'une seule chose : imiter l'homme qui les a conçues, tant dans son intellect que dans son expérience. Et ensuite, s'il est une chose que la machine ou l'ordinateur ne pourront jamais faire, c'est bien prendre des initiatives basées sur l'intuition. Car l'intuition, qui est le propre non seulement de l'homme, mais aussi le propre de chaque individu pris séparément, ne pourra jamais être mise en équations.

Une minute après son décollage, Skylab subissait d'importantes avaries, et aurait dû être condamnée. Elle l'aurait été, en fait, s'il s'était agi d'un vaisseau automatique. Mais pour la première fois dans l'histoire de l'astronautique, ces avaries se sont révélées à la base d'un succès d'une portée scientifique hors du commun. Les astronautes non seulement ont permis de sauver la station, mais encore ont transformé cet apparent échec en un succès retentissant, prouvant par-là même qu'une présence humaine était indispensable pour peu qu'une mission fût quelque peu complexe et sujette à incidents.

Les neuf astronautes de la mission Skylab ont ainsi prouvé que l'homme était indispensable dans l'Espace.

La preuve par neuf.

Jean Etienne

Partie 1 sur 4
Partie 2 sur 4

Partie 3 sur 4
Partie 4 sur 4

 

 
 
Mission de sauvetage envisagée par la Nasa, finalement abandonnée. Crédit : Nasa.
 
 
 
 
Image d'un "safari Skylab". De nos jours, de nombreux débris restent encore à découvrir...
Crédit : Nasa.
 

 

 
 
 

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