10 mars 2019

 

Crew Dragon, un coup de fouet décisif pour l'accès à l'Espace ?

 
Le succès de la mission Demo-1 de Crew Dragon avec son retour sur Terre ne se limite pas à un exploit technologique, mais revêt surtout un aspect hautement symbolique, avec des conséquences pour l'avenir que nous ne mesurons peut-être pas encore.
 
 

 
Retour de Crew Dragon le 8 mars 2019. Crédit : SpaceX.
 

Un peu d'Histoire, pour commencer…

En effet, à plusieurs reprises par le passé, nous avions pu avoir l'impression que le progrès, dont l'aventure spatiale représentait la figure de proue, bégayait. Il y eut d'abord le programme Apollo, instigué par le Président Kennedy lors d'un célèbre discours prononcé le 12 septembre 1962 à l'université Rice, à Houston, dans lequel il promettait qu'un Américain poserait le pied sur la Lune avant la fin des années 1960. Pari tenu avec le succès que l'on sait… Puis abandonné dans l'incompréhension générale avant la fin du programme, alors que plusieurs projets d'exploration lunaire "post-Apollo" étaient déjà projetés.

Il y eut ensuite le programme des navettes spatiales, lequel devait banaliser à moindre coût la liaison entre la Terre et l'orbite basse, promettant un vol par semaine… Après une moyenne de moins de 5 vols par an sur une période d'utilisation de 30 années et un coût d'exploitation plus de soixante fois supérieur à celui annoncé lors de la présentation du projet au Congrès américain, la NASA jette l'éponge en 2011.

Entre ces deux grands programmes avortés, on peut apercevoir un point commun : la volonté politique. Apollo ne reposait pas sur une base scientifique, on peut même affirmer qu'il s'agissait d'un programme militaire. Alors que la guerre froide battait son plein, le conflit se jouait aussi dans l'Espace, et toutes les grandes premières soviétiques donnaient des cauchemars aux Américains qui redoutaient de devoir s'endormir un jour sous une lune désormais communiste… Une idée insupportable qui exigeait un coup d'éclat, apporté sur le fil (croyait-on) par Apollo 11. Puis il y eut Apollo 12 et l'incident de la caméra empêchant le monde d'assister en direct à cette deuxième descente d'astronautes sur le sol de notre satellite. Pas grave, mais on commençait à comprendre que les accrocs, ça existe… Et suivit Apollo 13, qui faillit tourner au drame avec l'explosion du module de service. Dès lors, la question se posait : fallait-il prendre le risque de ruiner un succès si durement acquis par un accident fatal ? Poser la question, c'est y répondre. Le programme fut donc interrompu, les trois dernières missions prévues passant à la trappe.

L'abandon du programme navettes découle d'une autre cause. Présentée de manière assez floue d'un coût modique (un montant de dix millions de dollars par vol a été évoqué au Congrès dans les années 70) et sûre à 99,95%, on sait là aussi ce qu'il en a été : un minimum de 600 millions de dollars par mission, et la perte de deux navettes et de leurs équipages en vol sur 135 missions. Du coup, la NASA jette l'éponge en 2011. Il faut préciser que le projet initial, qui prévoyait la satellisation de 10 tonnes en orbite basse, avait entretemps été porté à 30 tonnes sur exigence de l'armée américaine...

La conséquence est claire : les Etats-Unis étaient désormais dans l'incapacité de lancer leurs astronautes par leurs propres moyens dans l'Espace, et surtout vers une Station Spatiale Internationale dont ils ont pourtant été les principaux maîtres-d'œuvre. D'où appel à la Russie pour envoyer leurs hommes en orbite, au moyen du vaisseau spatial russe Soyouz , lancé au moyen de fusées du même nom, de conception ex-soviétique. Le Soyouz compte trois sièges, qui se vendent chacun pour environ 80 millions de dollars (et en constante augmentation...).

Une situation qui ne pouvait durer…

Cette dépendance vis-à-vis de la Russie a toujours été supposée être temporaire, une sorte de pause jusqu'à ce que des véhicules privés américains deviennent disponibles. En 2014, la NASA a signé des accords commerciaux avec deux sociétés américaines : 2,6 milliards de dollars étaient attribués à SpaceX pour développer Crew Dragon, tandis que Boeing recevait 4,2 milliards de dollars pour concevoir sa capsule CST-100 Starliner.

Pour un observateur extérieur non averti, une telle attribution de contrats pouvait ressembler à un marché de dupes, SpaceX, aux airs de start-up, contre Boeing, le géant américain. David contre Goliath. Pourrait-on revivre l'épisode de la petite bande d'amateurs de Microsoft déjouant les plans de la géante IBM en imposant son système d'exploitation (le DOS) en 1981… et faisant de Bill Gates l'homme le plus riche du monde ? Beaucoup en ont douté...

Pourtant, le premier vol du vaisseau Crew Dragon de SpaceX, lancé le 3 mars 2019 vers l'ISS, et sa récupération six jours plus tard ont été un succès total, alors que Boeing n'a pas encore résolu tous les problèmes (notamment informatiques) de sa capsule CST-100 Starliner, qu'elle espère voir décoller pour un premier test en juillet ou en août prochain. Et si Crew Dragon ne transportait en guise de passagers qu'un mannequin équipé de capteurs, cette réussite suggère que la première mise en orbite d'un équipage humain par les Américains depuis le retrait des navettes sera bien réalisée au moyen d'un vaisseau conçu et lancé par une société privée (Starliner est lancé par une fusée Atlas 5 d'United Launch Alliance).

Certes, il ne s'agit pas d'une compétition et il est plus que probable que d'ici une année tout au plus, l'accès à l'espace se fera à la fois par des vaisseaux Crew Dragon de SpaceX et CST-100 Starliner de Boeing, auxquels le mérite revient à part égale. Mais le fait que le premier acteur ait devancé le second dans le temps ne démontre-t-il pas l'efficacité d'une société privée dirigée par une seule personne face à la lourdeur d'une multinationale lourdement hiérarchisée ? Rappelez-vous IBM et Microsoft…
 

 

 
Concept artistique du CST-100 Starliner (en bas) et Crew Dragon (en haut). Crédit : NASA.
 

Et dans un futur immédiat…

Un deuxième vol de Crew Dragon est programmé pour le mois de juin. Le vaisseau ne sera pas mis en orbite, mais éjecté de son lanceur durant l'ascension afin de démonter le bon fonctionnement du système d'évacuation d'urgence. Si tout se passe comme prévu, un vol de démonstration avec équipage et arrimage à la Station Spatiale Internationale (mission Demo-2) pourra avoir lieu dès juillet. Suivront alors des missions sous contrat avec la NASA, comprenant chacune quatre astronautes.

Le calendrier ciblé par Boeing est similaire. Le vol d'essai non habité de Starliner vers l'ISS, son essai d'abandon et son vol d'essai avec équipage pourraient avoir lieu en avril, mai et août, si tout se passe bien (source Boeing).

"Les opérations en orbite basse terrestre étant confiées à des particuliers, la NASA sera en mesure de consacrer davantage de ressources à ses principaux objectifs de vols habités : renvoyer des hommes sur la Lune, puis envoyer des astronautes sur Mars", a déclaré Jim Bridenstine, administrateur de la NASA. "Demo-1 constitue une pièce dans cette vision vraiment grandiose, et ce n'est pas une mince affaire. C’est un exploit extraordinaire dans l’histoire des États-Unis d’Amérique."

Eric Stallmer, président de la Commercial Spaceflight Federation, a exprimé des sentiments similaires, affirmant que le succès de Demo-1 se répercutera probablement dans l’industrie des vols spatiaux. "Cela montre la formidable opportunité qui nous attend, et ce n'est pas dans un avenir très lointain, mais dans quelques mois", a-t-il déclaré lors d'une interview à Space.com.

Jean Etienne

Sources principales :

SpaceX et NASA.

Voir aussi, sur notre site :

Le premier vaisseau spatial privé habitable prêt à être placé en orbite. 13 février 2019.
Crew Dragon s'est amarré à la Station Spatiale Internationale. 4 mars 2019.

 
 

 
Le navire de récupération du vaisseau Crew Dragon. Crédit : SpaceX.
 
 
 

 
Crédit : SpaceX.
 
 
 

 
Crédit : SpaceX.
 
 
 

 
Crédit : SpaceX.
 

 

 
 
 

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