LES APPLICATIONS DE LA SCIENCE ONT CHANGÉ LES CONDITIONS DE LA VIE SOCIALE

   

 

 

 

Celles que lui ont fait concevoir les applications de la science, de plus en plus diverses, de plus en plus puissantes, ne souffrent pas davantage de se laisser arrêter dans leur essor.

Depuis Richard Lenoir, Philippe de Girard et Jacquard, toutes les branches de l'industrie se sont transformées. Partout la machine a remplacé la main de l'ouvrier et multiplié la production dans des proportions qui eussent paru jadis invraisemblables. L'immense usine a partout remplacé les petits ateliers familiaux d'autrefois, changé les conditions de la vie ouvrière et les don­nées anciennes des problèmes économiques. Et quelle révolution que celle opérée du jour où les chemins de fer et le télégraphe ont, dans des proportions inouïes, abrégé les distances !

Avouons-le, il a fallu vaincre bien des résistances et des appréhensions.

C'est en 1837 que fût inaugurée la ligne partant de Paris et destinée au transport des voyageurs. Le point extrême du voyage était Saint-Germain. Nous sourions; on ne souriait guère alors. Que redoutait-on ? Un accident peut-être; et sûrement des fluxions de poitrine : un savant pessimiste avait affirmé que la température des tunnels, cinq fois plus basse que celle de l'air extérieur en été, ne manquerait pas d'être funeste aux voyageurs corpulents et sujets à la transpiration.

Enfin, le 26 août, l'inauguration officielle eut lieu : «La musique de la garde nationale, dit Maxime Du Camp, joua des fanfares pendant le trajet; on fit des discours; personne ne s'enrhuma sous les tunnels; la locomotive n'éclata point; les wagons ne déraillèrent pas, et l'on put croire qu'un voyage en chemin de fer n'était pas nécessairement mortel.»

 

 

 

 

Les premiers paquebots à vapeur. - La traversée de la Manche en 1825, d'après une lithographie d'Eugène Lami.

Quel bouleversement dans les moeurs, à l'apparition de ces premiers paquebots à vapeur, bien rudimentaires pourtant, si l'on en juge par celui-ci. A l'avant, se trouve une calèche qu'on transporte avec ses propriétaires.

Les voyageurs, groupés sur le pont, n'ont l'air qu'à demi-rassurés. On n'avait pas encore une pleine confiance dans ces machines à roues et l'on tremblait pour faire une traversée maintenant si aisée !

 

 

 

De ce jour notre réseau de chemins de fer n'a cessé de se développer, oh! bien lentement d'abord et au milieu de toutes sortes d'obstacles : l'aveuglement de certains hommes politiques, le sentimentalisme niais de quelques hommes de lettres, les appréhen­sions des localités timides, des aubergistes des grandes routes, des entrepreneurs de transports par diligences, se coalisèrent contre la merveilleuse invention et n'eurent pas de peine sans doute à persuader d'abord la foule. «Quand nous ouvrîmes le chemin de Versailles, rive droite, le 2 août 1830, dit l'ingénieur Serdonnet, on nous jeta des pierres à notre entrée dans la gare.»

Les accidents expliquent pour une part les sentiments du public à l'égard des che­mins de fer. Il vaut la peine de rappeler le souvenir du premier désastre qui vint l'épouvanter. Il eut lieu un dimanche, le 8 mai 1842, sur le chemin de fer de Paris à Versailles (rive gauche). Nous en emprunterons encore le récit à l'auteur de Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie. C'était, dit-il, jour de grandes eaux; dix-huit wagons pleins reve­naient à Paris remorqués par deux locomo­tives et poussés par une troisième placée à l'arrière. Un peu au-dessous de Bellevue, à un endroit où la voie est en déblai, la pre­mière locomotive, qui s'appelait la Matthieu-Murray, brisa net les deux extrémités de son essieu à l'endroit où il s'encastre dans les moyeux. A cette époque, les locomotives n'avaient que quatre roues. La seconde locomotive, brusquement arrêtée dans son élan, versa sur la première.

La dernière locomotive, continuant forcément à pousser le convoi en avant, le plia en hauteur et le renversa sur lui-même. Par un surcroît de précautions insensé, les portières, à cette époque, étaient fermées à clef. Les wagons, culbutés sur les locomotives dont le foyer brisé avait répandu les charbons ardents, prirent feu presque immédiatement, et l'on eut alors un spectacle lamentable. Les voyageurs prisonniers se précipitaient à l'étroite ouverture des portières, luttaient, s'étranglaient, brûlaient. Soixante-treize cadavres furent retrouvés; je ne compte pas les blessés.

«Les personnes qui, comme moi, sont contemporaines de cet accident n'ont point oublié l'effroi dont Paris et la France entière furent saisis. L'épouvante fut telle, on envisa­geait les locomotives comme des instruments si particulièrement dangereux, si difficilement gouvernables, qu'il fut très sérieusement question, pour les chemins de Paris à Rouen et de Paris à Orléans qui devaient être prochainement inaugurés, de remplacer la trac­tion mécanique par des attelages de chevaux.»

L'émotion se calma cependant; le Gouvernement de juillet eut l'honneur de fonder, d'une manière effective, officielle et rationnelle, le réseau des chemins de fer français; le second Empire en tripla l'étendue : il embrasse aujourd'hui près de 36000 kilomètres; nos locomotives font franchir à nos express vingt lieues en une heure.

 

 

 

Avant les chemins de fer. - Une diligence de 1830.

Traînées par un attelage de 6 chevaux, ces lourdes voitures constituaient cependant un progrès considérable sur les véhicules qui, au début du siècle, transportaient les voyageurs à travers la France.

 

 

 

Quant au télégraphe électrique, c'est, avec le chemin de fer et le développement du travail à la machine, l'agent le plus puis­sant qui ait déterminé les conditions nou­velles de la vie sociale au XIXe siècle. C'est en 1832 que Morse invente le « télégraphe électro-magnétique », en 1838 que la première ligne de télégraphie électrique est exploitée en Angleterre. La mème année, notre Académie des sciences est saisie de la question, et, dix ans plus tard, une ordonnance royale ouvrait, au ministère de l'intérieur, un crédit extraordinaire de 24000 francs pour la construction d'une ligne de télégraphie électrique entre Paris et Rouen.

La nouvelle invention rencontra aussi des adversaires. Les uns étaient de simples incrédules, les autres (les politiques qui étaient surtout frappés du danger que l'emploi du télégraphe électrique pouvait, à leur avis, faire courir à l'Etat, en facilitant les communications secrètes entre conjurés ! Ces appréhensions bizarres, qu'on dirait inspirées par le souvenir de quelque mélodrame vénitien, ne furent pas tout à fait inoffensives : elles eurent, au moins, pour effet de retarder jusqu'en 1851 l'admission du public à l'usage de ce nouveau mode de correspondance. Encore les particuliers pour user du télégraphe devaient-ils établir leur identité par des pièces probantes, passeports, actes de naissance, signatures légalisées, etc.

Au surplus, le télégraphe coûtait fort cher au début : 3 francs pour vingt mots, plus 12 centimes par myriamètre; le peuple s'en désintéressa alors et n'en fit guère usage. Mais du moins, cette fois, ne redoutait-il pas d'accident. Le pire qui pût se produire, c'était une erreur de transmission causée par quelque négligence des agents ou quelque fâcheuse interprétation d'une dépêche. «Vers la fin du second Empire, raconte Maxime Du Camp, on avait pris des dispositions pour faire disparaître de la Bourse les courtiers de finance non autorisés qui forment ce qu'on appelle la coulisse. Un télégramme signé Robert fut expédié de Paris à Bruxelles pour en annoncer la suppression et en même temps la baisse de fonds qui s'était produite tant au parquet des agents de change, dans la journée, que, le soir, à la Petite Bourse, comme on disait alors, c'est-à-dire à la réunion de spéculateurs qui se tenait près du passage de l'Opéra. Au reste, voici la teneur de la dépêche : « Parquet, Opéra, descendu. Coulisse, interdiction de jouer. Robert.» L'expéditeur, sans doute, avait négligé, par économie, les signes de ponc­tuation. Quoi qu'il en soit, le lendemain, un journal belge, se fondant sur la dépêche reçue, insérait ce fait divers : «Le parquet de l'Opéra est descendu dans la coulisse; par suite de cet accident, on a interdit la représentation de Robert le Diable.»

 

 

 

Une grande fête populaire sous la Troisième République. - Les réjouissances du 14 juillet à Paris , tableau de Roll.

 

 

 

Les services rendus par le téléphone seront plus considérables encore lorsque l'invention merveilleuse de Graham Bell, vieille à peine d'un quart de siècle, permettra à la parole vivante de franchir les plus grandes distances.

On nous promet, au premier jour, l'application de la découverte nouvelle de la télégraphie sans fil. Il n'est plus qu'un seul moyen de traverser l'espace dont l'homme n'ait pu s'assurer encore complètement. Car le XIXe siècle s'achève sans qu'ait été résolu le problème de la direction des aérostats.

 

 

 

Les débris de la colonne Vendôme, en 1871, d'après un dessin de Pils (1871).

Les statues mêmes ont lur histoire. Brisée, renversée, puis replacée plusieurs fois, au cours du siècle, la statue de Napoléon, qui se dresse au sommet de la colonne Vendôme, se ressentit souvent des violences et des revirements de la foule.

 

 

 

Quoi qu'il en doive être, et quelles que puissent être les découvertes prochaines, la gloire de notre siècle aura été assez belle. Garderons-nous même, en terminant, la réserve que nous nous étions d'abord imposée ? Siècle audacieux, écrivions-nous : du siècle de Rude et de Delacroix, de Beethoven et de Wagner, de Pasteur et de Victor Hugo, la postérité ne dira-t-elle vraiment rien de plus ? Elle modifiera sans doute certaines de nos appréciations sur les oeuvres et les hommes. Elle ne tiendra compte que de ce qui est essentiel et ne laissera saillir que les grandes lignes. Mais est-il impossible d'apercevoir dès maintenant ce qui restera significatif de l'œuvre du XIXe siècle? La littérature et les arts plastiques y ont inauguré des procédés très différents de ceux qui avaient été jusqu'alors usités; la musique a fait plus de progrès en cent ans qu'elle n'en avait fait en plusieurs siècles; les conditions de la vie ont été foncièrement renouvelées, la face du monde a été changée par les applications de la science.

C'est dire que, sur le chemin de l'histoire, le XIXe siècle apparaîtra comme un de ceux où l'humanité aura accompli une de ses étapes les plus hardies.

 

   

 

   
 
Cent ans d'audace dans les Arts et les Sciences
Dans les Beaux-arts, la faveur est allée aux révolutionnaires
Jamais les progrès de la Musique n'avaient été aussi rapides
Une bataille littéraire
Le plus grand génie scientifique du siècle
Les applications de la Science ont changé les conditions de la vie sociale
   
 
 

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